(Québec) Le premier ministre François Legault n'a visiblement pas apprécié le fait que le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et Labrador (APNQL), Ghislain Picard, annule à la dernière minute la rencontre prévue au sommet entre les deux leaders vendredi.

« Encore une fois, je ne comprends pas à quoi joue le chef Picard », a lancé le premier ministre lors de son point de presse, à Montréal. « J’ai de la difficulté à suivre le chef Picard, ça fait deux fois qu’il fait ça en très peu de temps. Il devait, il y a quelques semaines, rencontrer Sonia LeBel et Sylvie D’Amours, et il a annulé. Ce matin, il devait me rencontrer et à la dernière minute, il a annulé », a poursuivi M. Legault.

« Ce qu’il nous dit, c’est qu’il nous aurait demandé d’avoir avec lui les chefs atikamekws, j’ai vérifié dans mon entourage, jamais, on n’a eu cette demande-là », a ajouté le premier ministre. « J’ai même hier parlé avec le chef de Manawan, Paul-Émile Ottawa, et je lui ai dit qu’on allait organiser une rencontre la semaine prochaine. Il m’a dit qu’il était satisfait de ça donc, je ne comprends vraiment pas où s’en va le chef Picard, pourquoi, il fait ça. »

Après avoir longuement réfléchi, le chef de l'APNQL a refusé de participer à la rencontre convoquée par le premier ministre Legault, dans la foulée de la mort de Joyce Echaquan. Sur Twitter, M. Legault a affirmé que c'est malheureux et mais que « la porte de son bureau demeure ouverte ».

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le chef de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et Labrador (APNQL), Ghislain Picard.

Le ton était un peu moins cordial lors du point de presse. M. Legault a martelé que le racisme envers les Autochtones est présent au Québec et qu'il faut s'y attaquer. « Mais là, on a besoin d’avoir quelqu’un qui est assis à la table de l’autre côté pour qu’on travaille ces mesures-là ensemble », a-t-il déploré.

C'est l'APNQL qui a confirmé la nouvelle à La Presse sur le coup de 10 h, heure à laquelle la réunion devait débuter dans les locaux du cabinet du premier ministre à Montréal. La ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D'Amours, devait aussi participer.

« Malheureusement, le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, Ghislain Picard, vient d’annuler la rencontre prévue avec moi à 10 h ce matin. Je suis aussi disponible pour rencontrer les chefs de la nation Atikamekw. La porte de mon bureau reste ouverte », a écrit M. Legault sur Twitter.

Quelques minutes avant l'heure prévue de la rencontre, le bureau du premier ministre n'avait pas eu d'indications comme quoi l'entretien serait annulé. Selon nos informations, le chef Picard estime que les conditions n'étaient pas totalement au rendez-vous et qu'il ne sentait pas l'urgence du gouvernement d'agir dans la foulée des événements de Joliette.

Il disait jeudi vouloir obtenir la garantie qu'une rencontre aurait aussi lieu avec le leadership atikamekw et le premier ministre, sans quoi «il voyait mal l’utilité de se présenter à cet entretien».

À son tour sur Twitter, le chef Picard s'est défendu «d'avoir annulé» la rencontre avec M. Legault.

À 22 h 30 jeudi soir, l’APNQL indiquait que le chef Picard était toujours en réflexion. Selon nos informations, il multipliait les appels avec les communautés tard en soirée.

« Je ne le sais vraiment pas », a confié le principal intéressé en entrevue, autour de 18 h. « Au moment où l’on se parle, je ne suis pas certain que la rencontre va avoir lieu », a indiqué M. Picard.

Au même moment, le cabinet du premier ministre publiait l’horaire de M. Legault confirmant la tenue d’une rencontre fermée aux médias entre lui et le chef de l’APNQL.

Ghislain Picard a expliqué à La Presse craindre que cet entretien ne soit qu’un exercice de relations publiques du gouvernement Legault pour calmer les esprits alors que la vague d’indignation provoquée par la mort d’une jeune mère atikamekw à l’hôpital de Joliette, dans des circonstances troubles, continue de déferler.

Les tristes évènements coïncident également avec l’anniversaire du dépôt du rapport de la commission Viens, dont le bilan a été largement critiqué cette semaine. La ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours, s’est retrouvée encore hier sur la sellette alors que le Parti libéral réclame sa démission.

C'est que cette rencontre devait initialement avoir lieu la semaine prochaine. L’APNQL et M. Legault devaient alors faire le point sur la nouvelle mouture du projet de loi 66 sur la relance économique dans le contexte de la pandémie. Les chefs autochtones déplorent ne pas avoir été consultés dans le processus.

« Une des raisons pourquoi ça été devancé, c’est évidemment pour parler de la mort de Joyce Echaquan […] Mais cette question-là, ce n’est pas uniquement à moi qu’elle s’adresse. Elle s’adresse aux chefs atikamekw », a plaidé M. Picard, qui soutient que les leaders atikamekw ont « un souhait déterminé » de rencontrer M. Legault.

Le premier ministre a appelé jeudi le conjoint de Joyce Echaquan, Carol Dubé, ainsi que le chef de Manawan, Paul-Émile Ottawa. « J’ai parlé tantôt au mari de la victime, puis, ce que je lui ai dit, c’est que je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que ça ne se reproduise plus », a indiqué le premier ministre en point de presse.

Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, ainsi que la ministre Sylvie D’Amours ont aussi communiqué avec le chef atikamekw, jeudi.

PEU D’ATTENTES

Ghislain Picard a indiqué qu’il était loin d’être « près de sauter au plafond » à la veille de cette rencontre avec M. Legault. « Je ne peux pas. Je ne peux pas avec les deux dernières années [du gouvernement caquiste] », a-t-il souligné. Il cite la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies où Québec semble « déjà avoir défini ses balises ».

S’il choisissait de s’y rendre, il espérait à tout le moins être en mesure d’établir « un processus politique » dans lequel l’implication du premier ministre « serait beaucoup plus importante ». À ce sujet, il prend l’appel des libéraux à la démission de Mme D’Amours avec un grain de sel.

« Est-ce qu’elle est encore la personne de la situation ? Je pense que poser la question, c’est en partie y répondre », illustre le chef Picard. « Cela dit, s’il y avait un autre ministre et qu’il n’y avait pas plus d’implication de la part du chef d’État, je ne suis pas sûr que ça pourrait arranger les choses », a-t-il ajouté.

« ON A UNE RESPONSABILITÉ » DIT LEGAULT

« On a une responsabilité », a aussi soulevé le premier ministre au Salon bleu jeudi, faisant allusion au drame de Joliette. Il a énuméré vouloir agir sur le logement social, les services de traduction, la création de postes d’agents de liaison, la protection de la jeunesse et la formation du personnel des services publics.

Les parlementaires ont observé, à la suite d’une motion déposée par les libéraux et adoptée à l’unanimité, une minute de silence à la mémoire de Mme Echaquan, mais aussi des femmes autochtones disparues et assassinées au pays, à l’approche du 4 octobre, jour de commémoration nationale pour cette cause.

Le gouvernement Legault s’est aussi engagé – par l’adoption d’une motion déposée cette fois par Québec solidaire – à « s’entendre dans les meilleurs délais » avec les leaders autochtones pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Les discussions sur le sujet, qui fait partie des recommandations du rapport Viens, sont au point mort depuis un an.

La députée Véronique Hivon a dit vivre durement les évènements survenus dans sa circonscription. « J’étais choquée, je ne suis pas du tout fière de cela, étant la députée de Joliette », a-t-elle indiqué jeudi, ne pouvant retenir ses larmes.

Sa formation politique propose que le gouvernement dépose un projet de loi « très concret » d’ici la fin de la session parlementaire sur la question de la « sécurisation culturelle » dans les services de soins de santé québécois et demande une modification à la Loi sur les services de santé et les services sociaux.