Alors que commence la deuxième moitié de son mandat, le vrai nationalisme de François Legault ressurgit.

La menace d’une invasion de tchadors à Saint-Jérôme, qu’il laissait planer dans une élection partielle en 2016, ça sonnait faux dans sa bouche.

Les acrobaties administratives pour réduire temporairement le nombre d’immigrants, ça ne semblait pas le passionner non plus. Pas assez, à tout le moins, pour être capable d’en expliquer les détails lors de la dernière campagne électorale. Et ce, même quand on lui donnait une deuxième chance pour répondre à la question.

Ces dossiers, la Coalition avenir Québec les a exploités pour ravir le vote francophone autant aux péquistes qu’aux libéraux, particulièrement chez les baby-boomers.

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Le premier ministre François Legault en entrevue avec nos journalistes Tommy Chouinard (à droite), correspondant parlementaire, et Paul Journet, chroniqueur

Chose promise, chose due. M. Legault s’y est attaqué en début de mandat. Le titre du bilan officiel de sa première session parlementaire en juin 2019 le clamait noir sur blanc : « fierté retrouvée ». Comme dans : enfin, un gouvernement nationaliste qui ne vous juge pas. Enfin, de l’action sur le front de l’identité.

Reste qu’on imagine mal François Legault passer ses dimanches à approfondir les débats théoriques sur la laïcité et le multiculturalisme. Ce n’est pas cela qui le fait vibrer.

Lundi, en entrevue avec La Presse, il a été limpide. « Le rattrapage économique du Québec, c’est la grande raison pour laquelle j’ai fondé la CAQ. »

Il semblait vouloir en parler lundi pendant l’entièreté de notre entretien de 30 minutes bien comptées.

Cela ne m’a pas surpris.

Quand il a écrit un livre en 2013, ce n’était pas un déversoir à confidences pour embellir son image. C’était une proposition technique sur les zones d’innovation — son « Projet Saint-Laurent ». Il m’avait bombardé de chiffres comme si je faisais un audit comptable. Pas le genre de stratégie qu’on adopte quand on veut être invité à Tout le monde en parle.

Quand il a pris ses vacances en 2015, il a résisté aux charmes des palmiers pour faire une virée très peu touristique dans les usines de la Bavière et de Hambourg. Pour en apprendre sur le secteur manufacturier innovant de la région.

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« On imagine mal François Legault passer ses dimanches à approfondir les débats théoriques sur la laïcité et le multiculturalisme. Ce n’est pas cela qui le fait vibrer », souligne notre chroniqueur.

Dans l’opposition, la phrase revenait si souvent dans sa bouche qu’elle lui valait des imitations moqueuses : pendant que « les Québécois marchent », les autres « courent », désespérait-il au sujet de notre décevant PIB par habitant.

L’écart s’est un peu réduit, se félicitait-il lundi. Il croit que le reste du travail passe par son nationalisme économique.

Dans l’opposition, François Legault acceptait chaque mégaphone tendu pour hurler contre le gouvernement. C’était un rôle de composition, interprété avec une crédibilité variable.

En tant que premier ministre, on le sent plus naturel. Il redevient l’entrepreneur fonceur et impatient. Celui qui aime lancer des idées. Qui a plein de projets et qui frustre en les voyant cheminer à travers les « processus »…

M. Legault reste un interventionniste qui croit aux risques calculés. Avec le président d’Investissement Québec et son ministre du Développement économique, il a lui-même pris contact avec plusieurs des 100 plus grandes entreprises pour parler de leurs projets.

Par moments, ce comptable dit les choses de façon crue. Des employés de secteurs économiques en déclin devront être « requalifiés » ailleurs, annonce-t-il. Pas hyper rassurant. Parlez-en aux 200 employés de Velan dont les postes ont été délocalisés en Inde l’année dernière. La réaction à l’époque du premier ministre : « c’est une bonne chose que certains emplois moins payants soient dans des usines à l’étranger ».

Avec la prise de risque viennent les inévitables ratés. C’est la « moyenne au bâton » qui compte, dit-il. En effet, les échecs font partie de la vie des entrepreneurs, mais en politique, ils sont plus difficiles à vendre. Avec les déboires du Cirque du Soleil, de la cimenterie McInnis et de la mine de lithium Nemaska, il n’est pas facile de vendre l’injection d’argent public dans le privé.

M. Legault n’aime pas qu’on s’y attarde trop.

Quand on lui demande ce qui l’inquiète pour l’avenir du Québec, c’est la première chose qui lui vient en tête : le discours « négatif, parfois complotiste ». Le manque de « confiance en l’avenir ». Particulièrement chez les jeunes.

La réponse lui est venue spontanément, avant l’avenir du français. D’ailleurs, même s’il veut renforcer la loi 101, ce n’est pas sa priorité immédiate — il veut épauler les entreprises avant de leur ajouter des contraintes.

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« François Legault reste un interventionniste qui croit aux risques calculés », écrit notre chroniqueur.

À gauche, on se moque parfois de la CAQ, jugée affairiste et inculte. Et pourtant… M. Legault présente avec bonhomie et avec un sincère plaisir ses lectures, qui vont des Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar, à L’apparition du chevreuil, d’Élise Turcotte. Comme il a lancé lundi en conférence de presse à la Place des Arts, au détour d’une phrase qui ne semblait pas planifiée : « la culture, c’est un des grands bonheurs de la vie ».

Le nationalisme économique n’exclut pas la défense de la culture. Au contraire, l’un sert à financer l’autre. Si le plan fonctionne, bien sûr.

Il ne reste que deux ans à son mandat, et les chiffres ont le défaut d’être mesurables. Son nationalisme économique, il ne pourra pas indéfiniment en parler en tant que projet. Il devra finir par en démontrer les résultats.