(Québec) Comme le toit d’une vieille maison laissée à l’abandon depuis des années, la politique de protection du patrimoine au Québec coule de partout. Ses fondations se lézardent.

C’est le constat accablant de la vérificatrice générale, qui a consacré une portion importante de son rapport dévoilé mercredi à la manière avec laquelle l’État québécois protège — ou tente de protéger — le patrimoine bâti du Québec.

« Je ne suis pas en mesure de dire si [les gouvernements] s’en soucient ou ne s’en soucient pas. Ce que je peux vous dire, c’est qu’ils ne posent pas les gestes de manière à ce qu’on préserve le patrimoine bâti », a lancé en conférence de presse la vérificatrice, Guylaine Leclerc.

Son rapport décrit en détail comment le ministère de la Culture et des Communications (MCC) semble avoir perdu le contrôle du patrimoine bâti québécois, dont il a pourtant la charge.

Ce ministère n’a pas de « vision du patrimoine immobilier », n’est même pas en mesure d’en donner une définition, ne dispose pas d’un inventaire précis des immeubles dignes de protection, laisse trop souvent les municipalités à elles-mêmes et épaule mal les propriétaires, peut-on y lire en substance.

« Force est de constater que le MCC n’assume pas adéquatement ses responsabilités et n’exerce pas son leadership, tranche, en des termes cinglants, la vérificatrice. Il n’y a pas de stratégie d’intervention en matière de patrimoine immobilier. Ses interventions sont souvent insuffisantes ou manquent de cohérence. »

Démolition par abandon

L’un des éléments les plus troublants du rapport est le suivant : le manque de leadership de Québec favorise une pratique appelée la démolition par abandon. En somme, des propriétaires d’immeubles patrimoniaux les laissent se dégrader jusqu’à ce que ceux-ci deviennent insalubres, ce qui facilite ensuite leur destruction.

Pourquoi ? Notamment parce que le Ministère prend trop de temps à classer des bâtiments. Dans 40 % des cas, les demandes de classement sont traitées en plus de cinq ans. La vérificatrice identifie dans son rapport deux cas en attente depuis… 20 ans.

Des immeubles en « viennent même à perdre leur intérêt patrimonial en raison de l’absence d’intervention à l’intérieur de délais raisonnables », déplore le rapport.

Pire, l’État québécois lui-même peine à respecter le patrimoine. « Des biens classés ne sont pas maintenus en bon état » par Québec, peut-on lire.

Les municipalités, elles, ont le pouvoir de citer des biens patrimoniaux. Mais la vérificatrice se demande si Québec leur donne les outils suffisants pour le faire.

Dans un sondage, la vérificatrice a demandé à 26 municipalités de moins de 10 000 habitants si elles croyaient avoir une expertise suffisante en patrimoine. Elles étaient 21 à répondre non, contre seulement 5 qui croyaient l’avoir. Les chiffres étaient à peine meilleurs dans les plus grandes villes.

La CAQ blâme les anciens gouvernements

Devant un rapport aussi accablant, la ministre de la Culture, Nathalie Roy, s’est engagée à remettre d’ici quatre mois un plan d’action quinquennal à la vérificatrice.

La vérificatrice émet une série de neuf recommandations. Elle demande notamment au MCC de se doter d’une « vision claire » et d’une stratégie d’intervention. Elle exhorte aussi l’État à mieux épauler les municipalités et les propriétaires de maisons ancestrales.

Mais Nathalie Roy a aussi souligné lourdement « l’inertie de ses prédécesseurs ».

Elle a dû réagir à plusieurs dossiers patrimoniaux médiatisés depuis son entrée en fonction. Elle a par exemple décidé de classer le monastère des Moniales-Dominicaines-de-Berthierville. Le nouveau propriétaire voulait détruire l’immeuble patrimonial au profit d’un ensemble résidentiel.

Ce genre de décision en urgence découle d’un manque de stratégie et de vision, selon la directrice générale d’Action patrimoine. « Il est temps de prendre collectivement nos responsabilités et d’arrêter de gérer le patrimoine en mode pompier », plaide Renée Genest.