(Ottawa) N’ayant aucune présence au Québec, le groupe de bienfaisance WE Charity avait confié à la firme de relations publiques National le mandat de mettre en œuvre la fameuse Bourse canadienne pour le bénévolat étudiant (BCBE) dans la Belle Province avant que la tempête politique provoquée par les liens étroits entre les libéraux fédéraux et l’organisme en question fasse avorter le projet.

Selon des informations obtenues par La Presse, la firme National avait aussi le mandat de mettre en œuvre le programme controversé, lequel était doté d’une enveloppe pouvant atteindre les 900 millions de dollars, dans les communautés francophones dans le reste du pays, WE Charity (UNIS en français) étant un organisme essentiellement unilingue anglophone. UNIS avait confié ce mandat à National le 29 mai – une semaine seulement après que le cabinet fédéral eut décidé de lui accorder un contrat sans appel d’offres pour la gestion du programme de bourses.

Près d’un mois plus tard, soit le 25 juin, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé que son gouvernement confiait la gestion du programme à WE Charity. Mais l’organisme de bienfaisance a décidé d’abandonner le projet le 3 juillet dans la foulée des révélations selon lesquelles des membres de la famille du premier ministre avaient touché près de 350 000 $ en cachets de la part de WE Charity pour des discours prononcés lors d’événements organisés par l’organisme. Au même moment, il a aussi été révélé que la fille du ministre des Finances Bill Morneau travaillait pour l’organisme.

Ces révélations viennent mettre à mal l’un des principaux arguments avancés par le premier ministre Justin Trudeau, certains de ses ministres et des fonctionnaires du ministère des Finances, à savoir que WE Charity était la seule organisation nationale ayant les effectifs et la compétence pour mener à bien un programme national de près d’un milliard de dollars, affirment le Parti conservateur et le Bloc québécois.

« Cela confirme toutes les appréhensions que l’on avait au sujet de cette organisation-là. Quand le premier ministre nous dit que c’était le seul organisme apte à faire le travail, eh bien, ce n’était pas le cas. Il ne pouvait même pas servir les francophones. Il fallait qu’il passe par une firme de relations publiques », a déclaré le lieutenant politique du Parti conservateur au Québec, le député Alain Rayes.

C’est une autre démonstration claire que ce qu’a dit le premier ministre est faux.

Alain Rayes, député et lieutenant politique du Parti conservateur au Québec

Le député bloquiste Rhéal Fortin fait le même constat. « Les libéraux nous ont menti une fois de plus. Ils se sont appuyés sur l’argument que WE était le seul organisme qui a un réseau partout au Canada et qui est en mesure d’administrer le programme. C’est faux ! On nous a aussi dit que les fonctionnaires n’étaient pas en mesure de gérer le programme. C’est aussi faux. Le président du syndicat des fonctionnaires a dit devant le comité des finances que ce n’était pas vrai. On s’est fait mentir encore une fois », a tonné M. Fortin.

« Insultant pour les employés de la fonction publique »

Pour exécuter son mandat, la firme National a notamment approché des députés conservateurs du Québec ainsi que le Bloc québécois le jour même de l’annonce faite par Justin Trudeau pour leur demander la liste des organismes communautaires dans leur circonscription « qui n’ont en ce moment pas les “bras” pour fournir les services qu’ils offrent en temps normal ». Un représentant de la firme s’est même entretenu avec le conseiller politique du chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet à ce sujet, selon nos informations.

« La firme National nous demandait de lui fournir la liste des organismes alors que le gouvernement fédéral a déjà toutes ces informations via le programme d’Emplois d’été Canada. […] Quand le gouvernement nous dit que la fonction publique n’était pas capable, c’est une autre démonstration du contraire. Tout cela est insultant pour les employés de la fonction publique », a commenté Alain Rayes.

Pour le bloquiste Rhéal Fortin, l’affaire WE Charity prend de plus en plus l’allure du scandale des commandites, qui a éclaboussé les anciens gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin au début des années 2000. « Et ce que l’on sait de l’affaire, ce n’est que la pointe de l’iceberg. »

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Rhéal Fortin, député du Bloc québécois

Témoignant devant le Comité permanent des finances, il y a deux semaines, le premier ministre Justin Trudeau a déclaré : « C’est la fonction publique qui, après avoir fait les vérifications nécessaires, a soumis la recommandation disant que la seule organisation ayant l’envergure et la capacité de mettre en œuvre ce programme de bourses était WE. »

Comparaissant devant le même comité le 16 juillet, la ministre de la Diversité et de l’Inclusion et de la Jeunesse, Bardish Chagger, qui était responsable du dossier, a aussi fait valoir que l’organisme WE Charity était le seul au pays à avoir les effectifs pour exécuter un tel programme, selon les avis des fonctionnaires.

« Étant donné la portée et l’ampleur du programme ainsi que l’urgence de le déployer afin de mobiliser et appuyer les étudiants ainsi que les organismes à but non lucratif, Emploi et Développement social Canada (EDSC) a recommandé qu’une tierce partie administre le BCBE. La recommandation du Ministère était que ce tiers soit WE Charity », a-t-elle notamment dit.

Au départ, WE Charity devait toucher 19,5 millions pour gérer le programme de bourses. Mais Mme Chagger a précisé durant son témoignage que l’organisme aurait pu toucher jusqu’à 43,5 millions s’il avait réussi à recruter 40 000 jeunes pour faire du bénévolat. WE Charity a d’ailleurs déjà obtenu 19,5 millions de dollars le 30 juin, mais a promis de rembourser cette somme au trésor fédéral.

Dans un courriel à La Presse, la firme National a précisé que WE Charity avait retenu ses services dès le 29 mai.

« National a été mandaté par WE Charity afin de supporter l’organisation dans la mise en œuvre du programme […] au Québec et dans les communautés francophones canadiennes. Plus précisément, notre travail consistait à soutenir la mobilisation d’étudiants bénévoles et d’organismes à but non lucratif. Cela impliquait la sensibilisation et la coordination de groupes d’étudiants et d’organismes à but non lucratif, ainsi que l’annonce et la promotion du programme auprès des parties prenantes », a indiqué une porte-parole, Chantal Benoit.

Elle a ajouté que le mandat comprenait également le développement de contenu en français, la veille médiatique saillante et la rédaction de contenu pour les réseaux sociaux. National a été payés pour les quelques semaines de travail avant le désistement de WE Charity à la suite de la controverse, le 3 juillet. Mme Benoit n’a pas voulu dire quelle somme avait été versée. « La rémunération que nous recevons de la part de nos clients fait l’objet d’ententes contractuelles et est confidentielle. »

Elle a aussi indiqué que National avait déjà obtenu d’autres mandats de WE Charity dans le passé, notamment dans le cadre des Journées UNIS et aussi pour certains projets événementiels de moindre envergure.