(Québec et Ottawa) Alors que le premier ministre François Legault somme Justin Trudeau de fixer un échéancier pour dénouer la crise ferroviaire, le grand chef du conseil de Kanesatake, Serge Otsi Simon, retire ses propos appelant à la levée des barricades.

À l’Assemblée nationale, mercredi matin, au jour 14 du blocus ferroviaire, le premier ministre du Québec a haussé le ton, n’excluant pas une intervention des forces policières de la Sûreté du Québec (SQ), à condition que l’action soit simultanée dans les provinces.

« Le Québec ne peut pas agir seul. C’est un blocage qui a des conséquences dans toutes les provinces. Moi, je suis prêt à prendre mes responsabilités, mais il faut se coordonner si on est pour faire intervenir des policiers. Il faut une coordination dans toutes les provinces », a fait savoir M. Legault.

Le premier ministre, qui discutera mercredi après-midi avec ses vis-à-vis des provinces à l’invitation du président du Conseil de la fédération et premier ministre de la Saskatchewan Scott Moe, fera valoir qu’Ottawa doit impérativement établir un échéancier et fixer une date limite pour le démantèlement des barricades.

Pour la conséquence, M. Legault demeure prudent, mais soutient « qu’il ne faut rien exclure ». À ce sujet, le premier ministre a confirmé avoir « des discussions » avec la Sûreté du Québec. Dans la région de Montréal, la tension est vive à Kanesatake alors que le grand chef Serge Otsi Simon avait appelé à une levée des barricades.

Face au mécontentement suscité au sein de sa communauté par cette prise de position, le grand chef a finalement fait marche arrière. « Après mûre réflexion, après avoir écouté les critiques de mes gens et d’autres, après avoir vu comment mes propos ont été exploités par certains, incluant dans les médias […] je souhaite retirer mes propos […] », a-t-il déclaré par voie de communiqué.

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Le grand chef du conseil de Kanesatake, Serge Otsi Simon.

« Il ne me revient pas de porter un tel jugement. Je laisse cela aux gens sur le terrain et au leadership de la Première Nation Wet’suwet’en de lancer de tels appels », a ajouté le grand chef Simon dans cette même déclaration.

« Je suis d’accord qu’on respecte les autochtones, mais qu’on respecte aussi les Québécois. […] Le compromis on va le trouver dans le dialogue », a pour sa part fait valoir la ministre responsable des Affaires autochtones, Sylvie D’Amours.

« Ce qui m’inquiète, c’est l’incertitude. Quel est le plan ? Ça prend un plan B. On ne peut pas continuer pendant deux semaines, ça va exploser dans le sens économique », a affirmé le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon.  

« Ça prend, comme l’a dit le premier ministre [Legault mercredi] une action coordonnée et conjointe [des provinces]. Même si on agit au Québec, ça ne changera rien. On pourrait mettre beaucoup d’effervescence politique sans avoir aucun résultat », a dit la ministre de la Justice Sonia LeBel.  

Les libéraux critiquent leurs vis-à-vis fédéraux

Le chef libéral par intérim, Pierre Arcand, a envoyé une pointe en direction des libéraux fédéraux, mercredi, jugeant que « le fédéral n’a pas fait montre d’un grand leadership » depuis le début de la crise. M. Arcand s’est toutefois dit opposé à une intervention des forces policières à ce stade-ci.

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Le chef libéral par intérim, Pierre Arcand.

« C’est carrément quelque chose d’illégal qui se produit actuellement. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut quand même y aller de façon négociée », a-t-il dit avant la sortie du premier ministre Legault sur ce même sujet.

Manon Massé de Québec solidaire a également abondé dans le même sens.

« Quand ça fait 150 ans que les Autochtones nous demandent de reconnaître la base de leurs droits humains et qu’ils ne sont jamais entendus, j’aime mieux qu’ils prennent des moyens pacifiques [pour manifester] que de la violence. Quand j’entends [le chef fédéral conservateur Andrew] Scheer appeler à l’utilisation de la force, ça m’inquiète », a-t-elle dit.

« Ce n’est jamais par la violence qu’on réussit à trouver des solutions pacifiques et négociées », a-t-elle ajouté. « On est dans une situation qui va faire jurisprudence, a ajouté Pascal Bérubé du Parti québécois. Est-ce que d’autres groupes au Canada, autochtones ou non, vont décider d’utiliser le même moyen à l’avenir ? Ça m’inquiète. »

Le blocus ferroviaire paralyse une partie de l’économie du pays depuis près de deux semaines. Les chefs héréditaires de la Première Nation Wet’suwet’en en Colombie-Britannique s’opposent à la construction d’un gazoduc qui passerait sur son territoire, alors que le conseil de bande de cette même nation s’est entendu avec le promoteur du projet.

Le gouvernement fédéral dit avoir « un plan »

Du côté d’Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau s’est contenté d’une courte déclaration sur la crise. « Les gens font face à des pénuries. Les gens font face à des mises à pied. C’est inacceptable », a-t-il offert aux micros des journalistes, refusant de commenter le possible recours à la SQ évoqué à Québec.

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Le premier ministre Justin Trudeau s’est contenté d’une courte déclaration sur la crise.

« On va continuer à travailler avec tout le monde pour résoudre cette situation le plus rapidement possible », a-t-il réitéré le premier ministre, refusant de réagir aux propos de son homologue à Québec tant à son arrivée qu’à sa sortie de la réunion hebdomadaire du caucus libéral.

Dans les couloirs du parlement, les ministres libéraux ont tour à tour assuré que les libéraux savent où ils s’en vont. « On a un plan de match […] et tout le gouvernement travaille dans la même direction. On sait où on s’en va », a déclaré Pablo Rodriguez, lieutenant québécois de M. Trudeau.

La ministre du Revenu, Diane Lebouthillier, n’a pas semblé chaude à l’idée de l’intervention policière. « C’est sûr qu’on a tous, dans nos têtes, ce qui s’est passé à Oka », a confié la ministre du Revenu. « Ce n’est pas ce qu’on veut reproduire », a-t-elle noté.

Quant au ministre fédéral de la Sécurité publique, Bill Blair, il a dit ne pas vouloir fixer ou communiquer d’échéancier pour une sortie de crise.

Pas une bonne option, dit Blanchet

À Ottawa, le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet a affirmé qu’il serait mal avisé que le gouvernement ait recours à une intervention policière pour lever les barricades. Il a affirmé qu’une telle tournure des événements pourraient entraîner des lendemains difficiles pour toutes les parties.

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Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.

« Je comprends son impatience. Étonnamment, je suis peut-être le moins bouillant étant donné mon tempérament dans ce dossier. Mais je souhaite la même chose que lui, que les barricades soient levées. Je ne souhaite pas que cela se fasse par la contrainte ou par la violence. Pour moi, c’est le plus épouvantable des scénarios parce que c’est un scénario qui vient avec un demain matin », a affirmé le chef bloquiste.

Il a fait valoir que d’autres groupes pourraient alors ériger des barricades sur des voies ferrées ailleurs en guise d’appui à ceux qui auraient été arrêtés par les forces policières.

« On n’a pas envie d’embarquer dans un cycle d’intervention policière qui va être à recommencer dans le futur. Donc, cela doit passer la conversation, pas parce qu’on est mou ou parce qu’on est incertain sur notre volonté que les barricades soient levées. Mais ce n’est pas une solution. C’est non seulement un report du problème, mais c’est peut-être une façon d’envenimer le problème. C’est peut-être une façon d’amener aux barricades des comportements moins pacifiques que ce qu’on a vu jusqu’à maintenant », a ajouté M.  Blanchet.

Il a déploré les dommages économiques « catastrophiques » que cette crise est en train de causer. Il a aussi dénoncé l’absence de gestes concrets de la part du gouvernement Trudeau pour y mettre fin.

- Avec Joël-Denis Bellavance et La Presse canadienne