(Ottawa) À Toronto comme à Halifax, en passant par Montréal et Vancouver, la révolte des militants conservateurs contre leur chef Andrew Scheer est lancée. Elle prend de l’ampleur depuis qu’il a mené ses troupes à une douloureuse défaite électorale le 21 octobre alors que plusieurs croyaient qu’une victoire était possible en raison de l’accumulation de scandales qui ont égratigné l’image des libéraux de Justin Trudeau. Les paris sont désormais ouverts dans les rangs conservateurs. Quand va-t-il démissionner de ses fonctions ?

M. Scheer croyait être en mesure de gagner du temps en congédiant certains de ses proches collaborateurs la fin de semaine dernière, notamment son chef de cabinet, Marc-André Leclerc, et son directeur des communications, Brock Harrison. Ce geste, survenu plus d’un mois après que les Canadiens eurent rendu leur verdict, arrive trop tard, selon plusieurs sources conservatrices interrogées hier par La Presse.

« Il est cuit. La grande majorité des organisateurs à travers le pays ne sont plus derrière lui. À part la Saskatchewan, sa propre province, la grogne est insurmontable. Il ne lui reste plus d’alliés. C’est impossible de renverser la vapeur », a affirmé Dimitri Soudas, ancien proche collaborateur de l’ex-premier ministre Stephen Harper.

En coulisses, les coups de téléphone se multiplient.

Plusieurs conservateurs ont dans leur ligne de mire l’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick Bernard Lord, qui a déjà été courtisé à deux reprises dans le passé pour prendre la tête du parti.

Parfaitement bilingue, ayant fait sa marque dans le secteur privé et aujourd’hui à la tête de la société d’assurance en soins médicaux sans but lucratif Medavie, M. Lord résiste à la pression fulgurante… pour le moment. Certains conservateurs vont aussi s’employer à convaincre la ministre des Transports de l’Ontario, Caroline Mulroney, également parfaitement bilingue, de se lancer dans une éventuelle course à la direction.

Boudé au Québec

Pour sa part, Andrew Scheer a entrepris au cours des derniers jours une tournée du pays afin de prendre le pouls des membres du parti, des candidats défaits et des organisateurs. Lundi soir, il était à Montréal. Il s’est fait dire d’une manière sans équivoque par une quarantaine de candidats défaits du Québec qu’il n’est pas l’homme de la situation pour diriger les troupes conservatrices aux prochaines élections. Ces élections pourraient survenir d’ici deux ans étant donné que les libéraux sont désormais minoritaires à la Chambre des communes.

Assis à côté de son lieutenant politique pour le Québec, Alain Rayes, M. Scheer a encaissé les coups sans répliquer. Il a quitté la rencontre rapidement, s’engouffrant dans la voiture qui l’attendait sans répondre aux questions des journalistes. Il était ébranlé.

Dans une autre salle, le directeur exécutif du Parti conservateur, Dustin van Vugt, a rencontré les organisateurs du parti dans la province durant la dernière campagne. Ils ont été sans nuance : les conservateurs ne peuvent pas faire de gains au Québec en ayant Andrew Scheer à la barre du parti.

M. Scheer a eu droit essentiellement au même message lors de récents arrêts à Toronto et à Halifax. Tout indique qu’il entendra le même son de cloche à Ottawa jeudi et à Québec après le congé du temps des Fêtes, s’il est toujours en poste.

« La presque totalité des gens ont demandé sa tête et de quitter pour le bien du parti et le bien du pays. C’était dévastateur », a affirmé mardi une source conservatrice qui a réclamé l’anonymat afin de pouvoir s’exprimer plus librement.

Andrew Scheer a entendu sans filtre les opinions des candidats et des organisateurs. Ils ont été clairs. C’est impossible de gagner les prochaines élections avec lui au Québec. Il a pris le coup. Il était ébranlé.

Une source conservatrice

M. Scheer, qui n’a toujours pas commenté publiquement la composition du cabinet de Justin Trudeau dévoilée la semaine dernière, s’est attiré les foudres durant la campagne en louvoyant sur les questions d’ordre moral comme l’avortement et le mariage gai.

Sur l’avortement, il a mis une douzaine d’heures à préciser qu’il était pro-vie après avoir encaissé les coups au débat en français à TVA. Il a alors répété qu’il était hors de question de rouvrir ce débat s’il prenait le pouvoir. Dans le dossier du mariage gai, il a refusé de s’excuser pour un discours peu édifiant qu’il a prononcé en 2005 et que les libéraux ont ressorti durant la campagne. Il a simplement affirmé que la société était passée à autre chose depuis la légalisation du mariage entre conjoints de même sexe, il y a 14 ans, et qu’il comptait défendre les droits de tous les Canadiens, peu importe la couleur de leur peau, leur religion ou leur orientation sexuelle.

« En campagne, on a passé plus de temps à défendre les positions d’Andrew Scheer sur ces questions morales que sur le programme électoral de notre parti. On ne peut pas et on ne veut pas refaire ça aux prochaines élections », a-t-on indiqué.

Départ imminent ?

Les conservateurs progressistes réclament donc le départ de leur chef. Les groupes pro-vie, qui s’étaient mobilisés en 2017 afin d’appuyer Andrew Scheer durant la course à la direction, ont aussi fait savoir lundi qu’ils n’avaient plus confiance en lui. Résultat : le chef conservateur n’a plus d’alliés, alors qu’il doit se préparer à soumettre son leadership à un vote de confiance obligatoire en vertu de la constitution du parti après une défaite électorale.

La question n’est plus de savoir s’il va se rendre jusqu’au mois d’avril, ou s’il va se rendre jusqu’aux Fêtes en décembre. On ne sait pas s’il va se rendre jusqu’au 5 décembre.

Une autre source conservatrice

Le 5 décembre, c’est la date à laquelle le Parlement doit reprendre ses travaux. Le gouvernement Trudeau présentera alors son discours du Trône dans lequel il énoncera ses grandes priorités durant son deuxième mandat. Généralement, les projecteurs sont aussi braqués sur le chef de l’opposition officielle, qui offre une réplique sans nuance à ce discours.

Le tapis blanc qui avait recouvert la région de la capitale fédérale il y a trois semaines est presque disparu. Ce n’est qu’une question de temps avant que la neige ne s’accumule à nouveau sur les marches qui mènent au parlement.

Pour certains leaders, le froid de l’hiver force la réflexion. Pierre Trudeau avait affirmé qu’il avait pris la décision de quitter ses fonctions de premier ministre après avoir fait une longue promenade dans la neige, le soir du 28 février 1984. Il avait confirmé sa décision le lendemain, soit le 29 février.

Dans les rangs conservateurs, on souhaite ardemment que les tempêtes hivernales se succèdent, à Ottawa et à Regina, la ville que représente le chef conservateur aux Communes, avant le congé de Noël, de sorte qu’Andrew Scheer puisse aussi faire une longue promenade dans la neige et annoncer son départ avant la fin de l’année.