(Québec) Ils étaient contre. Les ministres du gouvernement Legault n’approuvaient pas l’idée d’accorder des centaines de millions aux chauffeurs de taxi pour mettre fin à leurs récriminations. Mais comme le gouvernement nage dans les surplus, Québec a acheté la paix avec les fonds publics.

Le gouvernement va accorder un total de 814 millions pour dédommager les chauffeurs frappés par la perte de valeur de leur permis depuis l’apparition d’Uber au Québec, il y a trois ans. Les libéraux de Philippe Couillard avaient déjà versé 250 millions, dans le budget Leitão, en mars 2018. Un an plus tard, presque en même temps que le dépôt du projet de loi 17 adopté hier, le gouvernement Legault avait accordé 250 millions supplémentaires.

Puis, un mois plus tard, Québec avait ajouté 270 millions à verser sur six ou sept ans, sur la base de la valeur d’acquisition des permis. Avec les 30 millions puisés il y a quelques jours dans le programme de modernisation déjà en place, on dépasse les 800 millions. L’industrie réclamait qu’on hausse la barre jusqu’à 1,3 milliard.

Selon les informations obtenues par La Presse, la totalité du Conseil des ministres voyait d’un mauvais œil l’indemnisation financière du gouvernement pour les quelque 20 000 chauffeurs et propriétaires, titulaires de permis souvent achetés à fort prix.

Des ministres comme Éric Caire, Geneviève Guilbault et même François Bonnardel désapprouvaient une ponction aussi grande dans les fonds publics. Les interventions publiques de François Legault cette semaine n’étaient pas équivoques : il y a déjà beaucoup de fonds publics engagés, a-t-il plaidé.

En privé, Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie et de l’Innovation, n’était pas tendre à l’endroit d’une industrie où une demi-douzaine d’associations s’arrogent le titre de porte-parole, avec des propositions disparates pour établir un dédommagement. « Ridicule ! », aurait-il résumé. Effectivement, la liste des groupes représentant les propriétaires et les chauffeurs — de Montréal, de Québec, de Laval ou des régions — est longue. On voit vite le risque de cacophonie dans les démarches auprès de Québec.

Mais ces récriminations au sein du gouvernement ne se sont pas tenues dans les réunions plénières du Conseil des ministres, plutôt en amont, dans les comités ministériels, souvent même dans les corridors. Le Conseil des ministres ne sautait pas plus de joie quand est venu le temps d’accorder une aide financière de 50 millions par année aux médias écrits ; or, la désapprobation était là moins tangible que dans le dossier du taxi. Mais dans les deux dossiers, les surplus dans les coffres du ministre Eric Girard ont permis de faire l’économie d’un débat qui aurait été beaucoup plus déchirant en période d’austérité économique.

Jusqu’en fin de journée hier, un bras de fer entre le ministre des Transports, François Bonnardel, et Québec solidaire (QS) a laissé planer le doute sur l’issue des débats sur le projet de loi 17 sur cette industrie. Il sera finalement adopté sans que l’on ait recours au bâillon, procédure législative qui donne toujours une impression d’improvisation à l’action du gouvernement. Déjà, la mesure avait été utilisée pour les niveaux d’immigration et l’adoption du projet de loi sur la laïcité de l’État ; le chef d’orchestre des travaux parlementaires pour le gouvernement, Simon Jolin-Barrette, aurait mal paru avec un troisième bâillon.

L’opposition de Québec solidaire est peut-être une première démonstration de la guérilla parlementaire que promet le parti avec sa stratégie « Ultimatum 2020 ».

QS brandit la menace : « François Legault doit déposer d’ici au 1er octobre 2020 un plan de transition économique crédible. S’il échoue à respecter cet ultimatum, nous ferons barrage à son gouvernement en usant de tous les moyens dont nous disposons, à l’Assemblée nationale comme dans la rue, pour le forcer à agir pour le climat », indique le site de la formation.

Favoriser le recours aux autos électriques faisait partie des conditions exigées et obtenues par QS. Ruba Ghazal, députée de Mercier, a aussi assuré que le ministère des Transports dépose le rapport sur les activités d’Uber, après trois ans de fonctionnement. Finalement, une table de consultation d’ici un an permettra d’évaluer l’application du projet de loi adopté hier.

Il faut dire que le ministre Bonnardel n’avait plus le gros bout du bâton. Déposé puis retiré, un de ses amendements au projet de loi avait discrédité sa stratégie : on voulait priver les titulaires de permis qui touchaient un dédommagement du droit d’exercer toute action collective, une mesure contestable. Même le ministre a admis son erreur.

Dans un cri du cœur, un chauffeur a interrompu la commission parlementaire : le gouvernement ne laisse que des miettes aux chauffeurs qui ont travaillé toute leur vie — ils pourront desservir les hôpitaux, les édifices gouvernementaux et assurer le transport adapté.

Avec Gaétan Barrette, les libéraux ont aussi mené une guerre de tranchées. Mais après l’assaut, le député de La Pinière a senti le besoin de prévenir les chauffeurs de taxi rassemblés au parlement : la guerre totale mettrait à risque des concessions déjà faites par le gouvernement. L’ex-ministre de la Santé n’a pas digéré que des parlementaires de la Coalition avenir Québec, avec une pointe de mépris, mettent l’industrie du taxi sur la sellette lors de la consultation générale au début de l’étude du projet de loi 17. Marteler que les chauffeurs ont fonctionné au noir pendant des années n’est pas un argument ; si on expropriait la résidence d’un « Mom » Boucher, on lui en paierait tout de même la réelle valeur.