(Québec) « Dépêches », « courrier », autant d’expressions surannées pour décrire l’écrit comme vecteur d’information. Un autre vocable a vécu plus longtemps : « gazette », qui a le mérite de lier étroitement l’existence du journal à ses revenus. La gazeta, petite pièce de monnaie à Venise, était le prix d’un exemplaire vendu dans la rue à l’époque.

Les médias écrits sont affaire de principes, de démocratie, mais aussi d’argent. Le gouvernement Legault l’a appris à la dure cet automne, forcé de presser le pas, d’annoncer son plan d’aide à la presse écrite avec l’espoir de sauver les publications de Groupe Capitales Médias, qui s’est placé sous la protection de la loi à l’égard de ses créanciers.

On pourra se demander quelle urgence il y avait à faire cette annonce hier. Une commission parlementaire chargée de recueillir des propositions n’a même pas terminé sa tournée des régions, et déjà le gouvernement donne sa réponse. La journée d’hier devait être celle des excuses aux autochtones. Le premier débat des chefs de partis fédéraux allait aussi mobiliser les nouvelles ce matin.

Tout en sachant qu’il n’avait d’autre choix que d’accorder une assistance aux médias écrits, le gouvernement est bien convaincu que cette mesure n’est pas populaire dans l’électorat en général.

Des impressions plutôt que des résultats d’enquêtes scientifiques : des coups de sonde « qualitatifs » lancés en juin dernier indiquaient clairement que l’avenir des journaux ne figurait pas parmi les préoccupations de la population en général.

Depuis, chaque fois que la question ressurgit dans les bulletins de nouvelles, les stratèges autour de François Legault constatent, à partir des courriels et des médias sociaux, que beaucoup de contribuables désapprouvent un programme d’aide favorisant un secteur d’activité en particulier.

Mais la détresse des journaux de Capitales Médias a suscité un mouvement spontané dans bien des régions, notamment à Sherbrooke, à Saguenay. Les milieux d’affaires et les centrales syndicales se sont mobilisés, illustration de l’attachement des lecteurs à leur journal.

Crédit d’impôt

Le programme de Québec est plus généreux que celui d’Ottawa, plus précis, surtout, disait hier le ministre des Finances, Eric Girard. Québec accorde un crédit d’impôt de 35 % sur le salaire d’un employé affecté à la production d’information écrite – le salaire maximum est de 75 000 $, ce qui équivaut à une subvention fiscale de 26 250 $. Ottawa avait fixé son aide à 25 % jusqu’à concurrence de 55 000 $ de salaire, faisant fi de la recommandation d’un groupe de travail qu’il avait mandaté, qui préconisait 35 %, jusqu’à 85 000 $ de salaire.

Pas moins de 200 médias sont couverts, soit environ 1200 salariés. De plus, les employés qui travaillent sur le passage au numérique sont eux aussi reconnus par le programme, au même titre que les journalistes, les photographes et les graphistes.

Le programme annoncé hier par le ministre des Finances, Eric Girard, a dû être préparé en catastrophe, tant les échéances sont serrées pour espérer sauver le groupe dont font partie Le Soleil à Québec, La Tribune à Sherbrooke, Le Quotidien à Saguenay, Le Nouvelliste à Trois-Rivières, La Voix de l’Est à Granby et Le Droit, publié à Ottawa.

Un programme de plus de 50 millions annuels, concocté en un mois seulement, c’est probablement un record de rapidité dans les annales du ministère des Finances.

Mais Québec n’avait pas le choix. Le syndic chargé de trouver des acheteurs éventuels doit recevoir une lettre d’intention au plus tard le 17 octobre, et une offre ferme, avec le montage financier, d’ici le 25 octobre. C’est l’équivalent de « demain matin », si on considère la complexité de l’analyse à faire. Les groupes susceptibles d’être intéressés ont tous besoin de connaître le cadre fiscal dans lequel l’entreprise fonctionnera, et besoin de prévisibilité avant de placer leurs billes. C’est le 6 novembre qu’on connaîtra le groupe qui a fait la meilleure offre, pour l’ensemble du réseau ou pour des quotidiens en particulier.

Des prétendants

Il y a deux semaines, la ministre de la Culture, Nathalie Roy annonçait à l’Assemblée nationale qu’une vingtaine de groupes avaient dit envisager de racheter Groupe Capitales Médias en tout ou en partie. La réalité est bien différente : cinq ou six groupes ont demandé accès à la base de données confidentielle où figurent les chiffres de l’entreprise. Deux groupes locaux ont levé la main, l’un pour La Tribune, l’autre pour Le Quotidien. Quant au journal le plus rentable du groupe, Le Nouvelliste de Trois-Rivières, officiellement, on ne lui connaît toujours pas d’acheteur. D’autres prétendants lorgnent plutôt l’ensemble des quotidiens, avec une rationalisation à la clé.

Des prétendants prévisibles, Bell ou Cogeco ne sont pas au rendez-vous. Québecor n’a pas demandé l’accès aux livres, mais il n’en a pas besoin ; il a déjà toutes les informations nécessaires depuis que le patron de GCM, Martin Cauchon, a sollicité directement Pierre Karl Péladeau. Seule bonne nouvelle, le déficit des régimes de retraite est bien moins lourd que les 65 millions inscrits à l’encre rouge qu’évoquait la direction de GCM en commission parlementaire.

Il y a un écart important entre deux évaluations du même régime, selon que l’on continue à recevoir des cotisations ou que l’on mette fin subitement au fonds de pension. Sur la base d’un programme qui sera maintenu, le régime de retraite de GCM est en léger surplus. Une deuxième bonne nouvelle pour les prétendants.