(Ottawa) Les travaux de la Chambre des communes ont pris fin hier sur une note tragique, 24 heures plus tôt que prévu, en raison de la mort du député conservateur de la Colombie-Britannique Mark Warawa, qui avait annoncé il y a trois mois à peine être atteint du cancer du pancréas.

Les élus de toutes les allégeances politiques étaient visiblement en deuil, alors que la pluie contribuait déjà à alourdir le temps maussade qui enveloppait la capitale fédérale. Perdre un collègue de la sorte, qu’il siège sur les banquettes du gouvernement ou sur celles de l’opposition, force une certaine introspection à la fin d’une session parlementaire éreintante et alors que des élections fédérales se profilent à l’horizon.

« Prends soin de ceux que tu aimes et de ceux qui t’entourent », a spontanément dit à La Presse hier un député conservateur en quittant la colline parlementaire pour faire ses valises et rentrer dans ses terres.

Élu en 2004, soit en même temps que le chef actuel du Parti conservateur Andrew Scheer, M. Warawa était âgé de 69 ans.

Au cours de la dernière session parlementaire, Justin Trudeau et ses troupes ont aussi dû faire leur propre introspection. Celle-ci n’a pas été provoquée par la perte d’un collègue libéral, mais par la démission de deux ministres influentes dans la foulée de l’affaire SNC-Lavalin – le dossier dominant de ce dernier tour de piste aux Communes avant le scrutin fédéral du 21 octobre.

L’ex-ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould a d’abord provoqué la stupéfaction dans les rangs libéraux en démissionnant en février, quelques jours après la publication d’allégations selon lesquelles de proches collaborateurs du premier ministre ont exercé des pressions indues sur elle pour qu’elle intervienne en faveur de la multinationale québécoise pour lui éviter un procès criminel.

Sa collègue du Conseil du Trésor, Jane Philpott, a ensuite semé la consternation trois semaines plus tard lorsqu’elle a démissionné à son tour en disant n’avoir plus confiance dans la gestion de l’affaire SNC-Lavalin par le gouvernement libéral.

Mais c’est le départ du secrétaire principal et ami de longue date de Justin Trudeau, Gerry Butts, également à cause de cette affaire et quelques jours après la démission de Jody Wilson-Raybould, qui a eu le même effet que le décès d’un être cher chez les libéraux.

« Gerry Butts était en quelque sorte une boussole pour nous. Il n’avait pas toujours raison, mais il savait dans quelle direction générale il fallait aller. C’était un gros morceau pour nous. Il a fallu s’adapter, procéder à des changements et faire une certaine reconfiguration de l’équipe », a souligné une source libérale qui a requis l’anonymat afin de s’exprimer plus librement.

Une épine dans le pied

Ces départs en cascade ont visiblement ébranlé Justin Trudeau, qui s’est toujours targué de gouverner différemment de ses prédécesseurs en misant sur la conciliation plutôt que la confrontation. Mais il a dû remanier son cabinet quatre fois en huit mois. Surtout, il a été contraint par ses propres députés, inquiets de voir leurs appuis chuter dans les sondages à l’approche des élections, à mettre son poing sur la table en expulsant ses deux ex-ministres du caucus libéral au début avril, alors qu’il avait dit jusque-là être prêt à les voir briguer à nouveau les suffrages sous la bannière libérale.

Jody Wilson-Raybould et Jane Philpott vont toutefois demeurer une épine dans le pied de Justin Trudeau jusqu’à la fin de ce premier mandat. Elles seront toutes les deux candidates dans leur circonscription respective à l’automne.

« L’économie se porte très bien. Le taux de chômage est à son plus bas. Normalement, on devrait être en avance dans les sondages dans un tel contexte, et non pas derrière les conservateurs », laisse tomber un stratège libéral.

Le Parti conservateur a profité de la déconfiture libérale aux Communes et dans l’opinion publique pour passer à l’offensive. Andrew Scheer a ainsi entrepris une tournée du pays pour expliciter ce que ferait un éventuel gouvernement conservateur en prononçant une série de cinq discours sur des enjeux importants tels que les affaires étrangères, l’immigration, l’unité nationale, l’économie et l’environnement.

Signe indéniable de l’inquiétude qui gagne les rangs libéraux, un ministre influent du gouvernement Trudeau a donné la réplique à chacun des discours prononcés par le chef conservateur, donnant la nette impression que la campagne battait déjà son plein.

Le Parti vert d’Elizabeth May a aussi eu sa part de gloire, au printemps, en arrachant la victoire dans la circonscription de Nanaimo-Ladysmith, en Colombie-Britannique, doublant ses effectifs aux Communes (deux députés en tout) alors que ses appuis continuer d’augmenter dans les sondages.

Travaux inachevés

Malgré des heures de séance prolongées jusqu’à minuit depuis près d’un mois, la session qui a pris fin hier est marquée par une série de travaux inachevés. 

La nouvelle mouture de l’Accord de libre-échange nord-américain n’est toujours pas ratifiée (les députés pourraient toutefois être rappelés au travail à ce sujet si le Congrès américain ratifie l’entente en juillet) ; le Canada tarde à indiquer s’il permettra ou pas au géant chinois des télécommunications Huawei d’offrir les services 5G sur son territoire, alors que des alliés comme les États-Unis ont déjà écarté cette option ; une restriction des armes de poing est reportée après les élections fédérales ; le différend sur le bois d’œuvre entre le Canada et les États-Unis est toujours en suspens ; et la réponse formelle du gouvernement au rapport de la Commission d’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées demeure sibylline.

Alors qu’il a passé les derniers mois sur les genoux à la Chambre des communes, où il a été attaqué tous azimuts sur l’affaire SNC-Lavalin par les partis de l’opposition, Justin Trudeau a semblé retrouver un peu de son aplomb cette semaine lorsqu’il a annoncé en conférence de presse que son gouvernement donne le feu vert au projet d’agrandissement de l’oléoduc Trans Mountain.

Coincé entre l’arbre et l’écorce depuis des mois dans ce dossier, qui soulève selon plusieurs des contradictions entre la croissance économique et la protection de l’environnement, entre les exigences de l’Alberta et l’opposition farouche de la Colombie-Britannique, le premier ministre a causé une surprise en promettant d’investir toutes les recettes fiscales liées à la réalisation de ce projet et à la privatisation éventuelle du pipeline dans des mesures qui permettront au Canada d’accélérer sa transition écologique.

Ses réponses claires et sans hésitation contrastaient avec ses fuites en avant des derniers mois.

« On a décidé de le laisser être sa propre voix, de laisser de côté les aspects rigides et écrits d’avance. Cela lui permet de retrouver son authenticité, ce qui a toujours été sa force », indique-t-on dans les rangs libéraux.

Aujourd’hui, l’écologiste de longue date Steven Guilbeault confirmera qu’il briguera les suffrages aux prochaines élections en portant la bannière du Parti libéral. Un candidat vedette qui saura donner de l’énergie à une organisation qui donnait déjà l’impression de battre de l’aile au Québec. Il se trouve que Steven Guilbeault est aussi un ami proche de Gerry Butts depuis quelques années. Ce dernier a vraisemblablement joué un rôle dans la décision du militant environnementaliste de faire le saut en politique fédérale.

De passage à Montréal, cette semaine, Justin Trudeau a affirmé qu’il compte faire de l’environnement l’enjeu décisif, la « question de l’urne ». En recrutant Steven Guilbeault, les libéraux croient sans doute avoir trouvé une nouvelle boussole pour leur chef, à temps pour la campagne électorale.