(Québec) L’interdiction du port de signes religieux chez les employés de l’État en position d’autorité n’affectera pas plus les femmes que les hommes, persiste à dire le gouvernement Legault.

La question de la stigmatisation des femmes était au cœur des discussions mercredi, au Jour 5 des consultations particulières sur le projet de loi 21.

Le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, a refusé de faire une analyse différenciée selon les sexes (ADS), comme le lui demandent le Parti libéral du Québec (PLQ), Québec solidaire (QS), la Ville de Montréal et la Confédération des syndicats nationaux (CSN).

Selon lui, le projet de loi 21 s’applique de manière égale aux femmes, aux hommes, aux chrétiens, aux musulmans, aux juifs, aux sikhs, etc.

« Le projet de loi touche toutes les religions, autant les hommes que les femmes, donc […] il n’y a pas de nécessité de faire une analyse différenciée selon les sexes », a déclaré M. Jolin-Barrette en mêlée de presse.

De l’aveuglement volontaire, a aussitôt rétorqué la porte-parole libérale en matière de laïcité, et ex-ministre responsable de la Condition féminine, Hélène David. Au moins 80 % des enseignants au Québec sont des femmes.

« Pas besoin d’être mathématicien pour savoir que si on parle de 80 %, on parle de beaucoup plus de femmes qui sont touchées que d’hommes », a-t-elle affirmé en entrevue dans son bureau du parlement.

« Quand le ministre dit : “Non, on n’a pas besoin de (l’analyse) et non les femmes ne sont pas plus touchées que les hommes”, bien je regrette, j’appelle ça de l’aveuglement volontaire », a-t-elle renchéri.

Selon elle, les femmes qui portent le hidjab sont particulièrement visées « parce qu’elles sont les plus visibles ». N’eût été du hidjab, « est-ce qu’on serait allé jusqu’à un projet de loi comme ça ? La question se pose très sérieusement ».

Le projet de loi 21 inclut une clause de droits acquis qui permettrait aux personnes déjà à l’emploi du gouvernement de continuer à porter leurs signes religieux, tant qu’ils demeurent dans le même poste. Les futurs employés, ou les étudiants en enseignement ou en technique policière, par exemple, devront choisir entre leur carrière et leur religion.

Ce compromis est déjà bien généreux, clame le Parti québécois (PQ). « Les grandes religions sont sexistes et je trouve que les opposants auraient intérêt à faire une revue des religions pour voir comment elles traitent les femmes de façon générale historiquement et encore aujourd’hui », a déclaré en entrevue le chef intérimaire Pascal Bérubé, pour qui le projet de loi favorise l’atteinte de l’égalité hommes-femmes.

« Stigmatisation légiférée »

Plus tard en commission, Mme David a soumis que le gouvernement s’apprêtait à enchâsser dans une loi la stigmatisation des femmes.

Abondant dans le même sens, la CSN a cité le groupe Justice Femme, qui rapporte une hausse fulgurante des incidents haineux dans les dernières semaines.

« Il y a eu des problèmes dans des milieux de travail qui ne sont pas visés par la loi, des problèmes sur la rue, dans le transport en commun », a soutenu Marie-Hélène Bonin, conseillère syndicale au Service de recherche et de condition féminine.

« Ce projet de loi-là semble ouvrir la porte à beaucoup plus d’hostilité à l’égard des femmes qui portent le voile, et qui ont déjà beaucoup de difficulté à trouver un emploi à la hauteur de leurs compétences », a-t-elle ajouté.

L’homme musulman, poursuit-on, pourra continuer de porter la barbe en raison de ses croyances religieuses comme s’il s’agissait d’un simple symbole « hipster ». Le gouvernement doit marquer un temps de pause, insiste le président de la CSN, Jacques Létourneau. « Il n’y a pas d’urgence ! »

Mardi, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, avait aussi affirmé s’inquiéter de l’impact de l’interdiction du port des signes religieux sur le taux d’emploi des femmes immigrantes. D’après elle, ces femmes se heurtent déjà à un taux de chômage deux fois plus élevé comparativement aux autres citoyennes.

« Les caquistes n’aiment pas les femmes » ?

Le ministre Jolin-Barrette devrait comprendre toute l’importance de l’analyse différenciée selon les sexes, maintient le député Sol Zanetti, de QS, puisque les députés sont à même de suivre une formation.

L’ADS a pour objet de discerner de façon préventive les effets distincts sur les femmes et sur les hommes que pourra avoir l’adoption d’un projet.

Un travail qui aurait déjà dû être fait dans le cas du projet de loi 21, croit M. Zanetti. « J’espère que le ministre est inscrit à la formation, parce que manifestement il ne sait pas c’est quoi. »

Si le ministre croit que la pièce législative a le même effet sur les femmes que sur les hommes, qu’il le prouve, a-t-il dit.

« Ce que je lui recommande, c’est de lire le livre d’Aurélie Lanctôt, “Les libéraux n’aiment pas les femmes ». […] Il va voir que son projet de loi touche pas mal plus les femmes que les hommes quant à la limitation des droits et libertés, et puis peut-être que s’il le lit, on ne finira pas par dire : « Les caquistes n’aiment pas les femmes », a-t-il lancé.

Mme Lanctôt prétendait que les années de compressions avaient touché davantage les femmes que les hommes.