(Edmonton) La chef néo-démocrate de l’Alberta a passé la dernière journée de la campagne électorale provinciale dans une usine d’oléoducs de Calgary, alors que son adversaire conservateur a estimé que la forte participation aux votes par anticipation est de bon augure pour son parti.

Près de 700 000 électeurs ont voté ces derniers jours, soit environ trois fois plus qu’en 2015. Pour le chef du Parti conservateur uni de l’Alberta, Jason Kenney, cela signifie que les Albertains souhaiteront du changement, mardi.

Rachel Notley a enfilé casque et bottes de travail, lundi, pour assurer que son gouvernement avait réussi, à force « de patience et de détermination », à bâtir un « consensus national durable » sur le besoin d’oléoducs, y compris en Colombie-Britannique.

Elle a dit s’attendre à un feu vert du gouvernement fédéral le mois prochain pour l’élargissement de l’oléoduc Trans Mountain, qui acheminera le pétrole brut des sables bitumineux vers la côte ouest, pour exportation.

Le chef du Parti conservateur uni, Jason Kenney, a passé une grande partie de la campagne à critiquer Mme Notley pour sa mollesse dans le dossier des oléoducs, et pour sa collaboration avec le premier ministre libéral Justin Trudeau sur la politique énergétique et climatique.

Il a promis, s’il était élu, de créer une « cellule de crise » au gouvernement pour répondre en temps réel aux critiques des oléoducs, intenter des poursuites judiciaires et même bloquer les exportations de pétrole vers la Colombie-Britannique.

Mme Notley estime que la position de M. Kenney met plutôt en péril tout ce dossier.

« Pour faire la une des journaux, il est prêt à tout gâcher : c’est risqué. C’est mauvais pour l’Alberta. C’est mauvais pour notre économie et nos emplois, et c’est mauvais pour notre avenir. »

Mme Notley a par ailleurs ridiculisé la menace de M. Kenney de fermer les robinets vers la Colombie-Britannique, car cette province n’est actuellement pas le principal obstacle à Trans Mountain, selon elle. L’élargissement a plutôt été retardé l’année dernière parce que la Cour d’appel fédérale a ordonné un plus grand nombre de consultations et d’études.

Faisant campagne à Edmonton, lundi, M. Kenney a par ailleurs déclaré qu’il n’avait pas parlé avec son candidat Peter Singh, de Calgary, dont l’atelier de réparation automobile a fait l’objet d’une perquisition de la police fédérale la semaine dernière.

Le chef conservateur a précisé lundi que la GRC enquêtait sur le fils de M. Singh. Le candidat a d’ailleurs publié un communiqué dans lequel il clame son innocence.

« Pour autant que je sache, (Peter Singh) n’a été accusé de rien », a répondu M. Kenney.

Une campagne relativement calme

La campagne électorale albertaine promettait un affrontement titanesque d’idées et d’idéologies entre deux candidats connus à l’échelle nationale. Les électeurs ont toutefois plutôt eu droit à une série d’attaques acerbes et de distractions, en plus d’une apparition surprise de la GRC.

Selon l’experte en sondage Janet Brown, de Calgary, l’affrontement marquant opposant M. Kenney à Mme Notley n’a jamais eu lieu. « C’était censé être une bataille de titans et ce fut plutôt deux campagnes assez horribles », a-t-elle estimé. « D’un côté, M. Kenney a dû éteindre plusieurs feux, était toujours amené loin de son message. De l’autre côté, le NPD ne faisait qu’attaquer M. Kenney et a rarement pris le temps de raconter sa propre histoire. »

Quoi qu’il arrive mardi, Rachel Notley marquera l’histoire : elle deviendra soit la toute première néo-démocrate à être réélue première ministre, soit la toute première chef d’un parti albertain à n’avoir pas réussi à obtenir un deuxième mandat à sa première tentative.

Une victoire pour les conservateurs unis de Jason Kenney, que prédisent les sondages, signifierait un retour au centre droit pour l’Alberta, où cette province s’est logée pour la majeure partie du dernier demi-siècle.

Mme Notley a fait campagne sur sa volonté de continuer à bâtir l’Alberta malgré une période difficile causée par les faibles prix du pétrole. Mais en dehors des promesses d’élargir le réseau de garderies subventionnées et de suivre le rythme de la croissance démographique et de l’inflation pour ce qui est des dépenses en santé et en éducation, sa campagne s’est plutôt appuyée sur des attaques intenses contre la personnalité de M. Kenney.

La campagne a inclus des sites web et des discours dans lesquels étaient soulignées des déclarations antérieures de Jason Kenney contre l’avortement et le mariage homosexuel, et sa promesse, dans cette campagne, de supprimer certaines protections pour les étudiants gais dans les écoles.

« M. Kenney n’est pas franc avec les Albertains quand il parle de l’idée que son parti accepte et soutient les membres de la communauté LGBTQ. Il ne le fait pas », a laissé tomber Mme Notley lors du débat des chefs.

M. Kenney a de son côté attaqué les quatre années où le gouvernement Notley a dépensé sans compter, estime-t-il, en plus de critiquer la taxe sur le carbone et les milliards de dollars empruntés pour financer des projets d’infrastructure et des dépenses de programmes. Il a utilisé le premier ministre Trudeau comme une arme, faisant souvent référence à une « alliance Notley-Trudeau », qui, a-t-il déclaré, a mis à genoux le secteur pétrolier et gazier de l’Alberta.

Mme Notley, pour sa part, a déclaré que la stratégie de « riposte » de M. Kenney, notamment en traduisant Justin Trudeau en justice pour la taxe fédérale sur le carbone et sa législation sur l’énergie, a été un théâtre politique cynique et, en fin de compte, voué à l’échec.

M. Kenney a de plus dû composer avec les controverses ayant entouré certains membres de son équipe. Caylan Ford, conseiller politique formé à Oxford et sans doute le plus brillant des candidats vedettes de M. Kenney, a démissionné à la veille de la campagne pour des commentaires jugés favorables au nationalisme blanc.

Eva Kiryakos a démissionné avant la date limite des candidatures pour ses commentaires sur les musulmans et les toilettes non genrées. Mark Smith, porte-parole du caucus en matière d’éducation, s’est excusé, mais n’a pas quitté la campagne en lien avec un discours antiavortement et homophobe prononcé il y a des années.

M. Kenney a également dû composer avec des enquêtes de la GRC et du commissaire aux élections en lien avec des allégations de fraude et de blanchiment d’argent dans la course à la direction du Parti conservateur uni, qu’il avait remportée en 2017. Sans compter l’affaire Singh, la semaine dernière.