La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a affirmé mardi que la police serait appelée à intervenir si une commission scolaire refusait d'appliquer la loi sur la laïcité, une sortie qui lui a aussitôt valu les reproches du premier ministre François Legault.

Lors d'une mêlée de presse à l'Assemblée nationale, Mme  Guilbault a déclaré que «les gens vont aviser les services policiers» si la loi n'est pas appliquée, comme c'est le cas pour «l'application de n'importe quelle loi au Québec».

«La loi, c'est la loi», a affirmé la ministre de la Sécurité publique, alors que les commissions scolaires English-Montréal et Lester B Pearson ont indiqué ces derniers jours qu'elles ne comptaient pas appliquer la loi sur la laïcité. De son côté, le maire de Montréal-Ouest, Beny Masella, prévenu que «si ce projet de loi devait aller de l'avant sans tenir compte de nos préoccupations, nous voyons difficilement comment nous pourrions l'appliquer au sein de nos municipalités.»

Avant la période de questions, mardi, le premier ministre François Legault a rapidement rabroué sa ministre. Il a affirmé que certains membres de son caucus avaient «moins d'expérience» et qu'ils «[tombaient] dans le panneau des journalistes» qui posent des questions sur l'application de la loi.  

«Des gens voudraient qu'on commente sur des hypothèses. Quand on a un peu d'expérience, on sait qu'il ne faut jamais, comme politiciens, commenter des hypothèses», a-t-il dit.

Or, François Legault a confirmé qu'il existe des moyens pour faire appliquer les lois et qu'il avait la ferme intention que la loi sur la laïcité soit respectée une fois adoptée. Mais comment ?

«Il y a des journalistes qui demandent quels seront les moyens [pour l'appliquer] et il ne faut pas se faire prendre dans ce jeu-là», a dit le premier ministre.

Après la sortie du premier ministre, Geneviève Guilbault a tenté de corriger le tir.  

«Ce sont véritablement les plus hautes autorités des organisations concernées qui seront responsables de l'application de la loi et je suis certaine que tous s'y conformeront parce que la grande majorité des Québécois a hâte à ce qu'on ait un État laïc et est d'accord avec notre position», a-t-elle dit, reprenant ainsi le message que martèle depuis des jours le ministre de l'Immigration, Simon Jolin-Barrette, le parrain du projet de loi 21.

Des tribunaux interpellés ?

De son côté, la ministre de la Justice, Sonia LeBel, a contredit sa collègue Geneviève Guilbault, mardi, et a indiqué que la police n'aurait pas à intervenir en cas de désobéissance à la loi.

«Ce n'est pas une infraction criminelle ou pénale, ce n'est pas de nature policière», a-t-elle dit.

Questionnée au sujet d'une commission scolaire qui n'appliquerait pas la loi, la ministre de la Justice, Sonia LeBel, a affirmé que le gouvernement pourrait se tourner vers les tribunaux.

«Ultimement, parce ce n'est pas l'avenue privilégiée et je veux que ce soit très clair, le gouvernement du Québec devrait procéder par injonction ou mandamus, une procédure qui peut forcer à faire [appliquer la loi]. C'est la procédure juridique théorique», a-t-elle expliqué.

Dans le cas où l'organisme ne respecterait pas l'injonction, «ça peut être un outrage au tribunal».

«Je suis très confiante fois qu'une fois que le projet de loi sera adopté par l'Assemblée nationale, surtout des maires et des commissions scolaires, les gens vont, en fait je n'ai aucune raison de penser que les gens vont faire de la désobéissance civile. Je n'ose pas croire ça, je ne crois pas ça. C'est un argument dans le feu de l'action» qui a été fait par les deux commissions scolaires, a-t-elle dit.

Mme LeBel ne voit d'ailleurs pas de problème à ce que le projet de loi 21 ne contienne aucune sanction particulière contre les récalcitrants.

«Ce n'est pas une lacune. Il y a plusieurs lois au Québec qui n'ont pas de conséquences pénales», a-t-elle dit.

Dans l'éventualité où un agent de l'État visé par la loi déciderait de porter un signe religieux, ses patrons seraient chargés de faire respecter l'interdiction. Il y aurait des conséquences contre l'employé conformément aux règles régissant les relations du travail, «avec toutes les gradations nécessaires», a ensuite indiqué Mme  LeBel.

Mais l'avocat montréalais Julius Grey a pour sa part affirmé mardi au 98,5FM que «s'il y a une loi qui est contraire à votre conscience, vous pouvez désobéir. Par exemple, les gens ont désobéi à la guerre au Vietnam, les gens ont désobéi aux règles de la ségrégation. [...] La non-application de la loi était un des moyens qui ont mené aux changements».

QS ne condamne pas la désobéissance civile

La possibilité que des commissions scolaires refusent d'appliquer la loi sur la laïcité a provoqué de vifs désaccords chez les partis de l'opposition.

Le député de Québec solidaire (QS), Alexandre Leduc, a refusé de condamner le recours à la désobéissance civile, tel que le suggère l'avocat Julius Grey.

«La désobéissance civile, ce n'est pas un crime, a expliqué le député. C'est une tactique qui existe pour contester un projet de loi ou pas.»

«Je ne dis pas que c'est la meilleure stratégie à utiliser, a-t-il tempéré. Les gens qui veulent la contester utiliseront cette stratégie s'ils le veulent. Nous, on va se concentrer comme législateurs à travailler sur l'amélioration du projet de loi.»

Le député du Parti libéral du Québec (PLQ), Gaétan Barrette, a immédiatement affiché son désaccord.

«Je comprends la motivation des gens qui prônent cette position-là, a-t-il dit. Mais on est dans une société de droit alors on ne peut pas tolérer la désobéissance civile.»

Le Parti québécois (PQ) a lui aussi appelé les citoyens à respecter les lois qui sont adoptées par leurs élus. Selon le député Sylvain Gaudreault, les commentaires de M. Leduc sont la preuve d'une dérive de Québec solidaire.

«Plus ça va, plus on s'aperçoit qu'en plein de matières, Québec solidaire se radicalise et utilise des procédés radicaux, a dit M.  Gaudreault. C'est une démonstration de plus.»