L'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) entend doter chacun des 117 points d'entrée terrestres à la frontière canado-américaine d'appareils de dépistage du cannabis d'ici cinq ans. L'objectif de l'ASFC est d'intercepter à la frontière les automobilistes qui conduiraient avec les facultés affaiblies par cette drogue qui est légale au Canada depuis le 17 octobre.

Mais avant de procéder à quelque acquisition que ce soit, l'ASFC tient à avoir la certitude que ces appareils pourront fonctionner en tout temps, notamment durant les saisons froides, a indiqué l'ASFC dans un courriel à La Presse, précisant que la somme de 12,5 millions de dollars sera consacrée à la mise en oeuvre de ces mesures durant les cinq prochaines années.

Ce faisant, l'ASFC joint sa voix à celle d'autres organisations chargées de faire appliquer la loi qui demeurent prudentes quant à l'utilisation de ces appareils en raison de leur fiabilité, en particulier le DrugTest 5000, appareil de dépistage de cannabis au volant qui a été homologué par Ottawa.

Contestations inévitables?

La prudence semble donc être de mise pour ces organisations, d'autant que l'appareil en question, qui est de la taille d'un grille-pain et qui peut donner un résultat en 15 minutes, est loin d'être aussi fiable que les tests d'alcoolémie effectués par les forces policières aux abords des routes, par exemple.

La fiabilité est remise en question à un point tel que plusieurs avocats criminalistes consultés par La Presse en août ont dit juger inévitables les contestations des cas qui pourraient aboutir devant les tribunaux à la suite de l'utilisation de cet appareil par des corps policiers.

«Aucun appareil n'a été acheté pour l'instant par l'Agence des services frontaliers (ASFC). L'ASFC procédera à l'achat d'appareils de dépistage afin d'équiper ses 117 points d'entrée terrestres d'un appareil. Les détails des dépenses prévues pour l'achat des appareils sont confidentiels», a indiqué Jayden Robertson, porte-parole de l'Agence, dans un courriel.

«Toutefois, nous pouvons vous dire qu'une somme de 12,5 millions de dollars sur cinq ans est allouée à l'ASFC, principalement pour former des agents de l'ASFC et se procurer les dispositifs de test», a-t-il ajouté.

«Si la technologie le permet, l'Agence déploiera les dispositifs de dépistage au cours des prochaines années.»

Cet appareil est déjà utilisé en Californie, en Allemagne, en Norvège et en Australie pour contrôler l'usage du cannabis au volant. Or, selon une évaluation scientifique publiée en mai dernier dans le Journal of Analytical Toxicology, pas moins de 14,5% des échantillons de salive analysés à l'aide de cet appareil par des policiers norvégiens étaient en fait de «faux positifs».

L'analyse sanguine réalisée ultérieurement n'a pas confirmé une présence de THC suffisante pour permettre de conclure que ces conducteurs avaient effectivement les facultés affaiblies par le cannabis. D'autres chercheurs affiliés au Centre canadien sur les dépendances ont pour leur part conclu en 2017 que le DrugTest 5000 affichait un taux de «faux positifs» de 3 à 7%.

Selon les spécifications du fabricant, le Dräger DrugTest 5000 fonctionne officiellement dans des températures ambiantes se situant entre - 4 et 20 °C.

Formations à la GRC

Au terme d'un projet-pilote de quatre mois mené au début de 2017 afin de tester l'utilisation d'appareils de dépistage de la drogue par prélèvement de salive, le ministère de la Sécurité publique, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé ont formulé une série de recommandations. L'une d'entre elles visait justement à s'assurer que l'appareil retenu offre «une fiabilité élevée lors des températures de froid extrêmes». On recommandait aussi qu'il ait «la capacité d'analyser des échantillons en huit minutes ou moins».

Pour l'heure, la GRC a décidé d'acheter 20 appareils de dépistage directement du fabricant d'équipements médicaux allemand Dräger, mais uniquement pour la formation de policiers. L'achat d'une vingtaine d'appareils a coûté 122 640 $, taxes en sus. L'appareil qui sera utilisé éventuellement par le corps policier national devra être choisi après consultation.

«La GRC a élaboré un programme de formation sur l'utilisation de ces appareils à l'intention des policiers. Ces appareils ne sont pas destinés à être utilisés sur le terrain», a indiqué la sergente Marie Damian, des Services nationaux de communication de la GRC.

«La Direction générale de la GRC ne fait pas l'achat d'appareils approuvés de dépistage de drogue pour les divisions et les détachements de la GRC.»

«Sécurité publique Canada a offert des fonds aux provinces et aux territoires pour l'achat d'appareils de test de salive. Sécurité publique Canada est responsable de cette initiative et assure la coordination avec les gouvernements provinciaux et territoriaux afin de déterminer le nombre d'appareils nécessaires. [...] La GRC mettra en place stratégiquement un nombre limité d'appareils approuvés de dépistage de drogue, en consultation avec ses partenaires provinciaux, territoriaux et municipaux», a-t-elle ajouté.

Prudence aussi au SPVM

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) opte aussi pour la même prudence. «Comme pour l'ensemble des autres organisations policières du Québec, le SPVM n'a pas procédé à l'acquisition d'appareil de détection pour des raisons de difficultés d'application légale. Nous poursuivons nos démarches avec nos partenaires en vue d'une possible acquisition future», a-t-on indiqué dans un courriel à La Presse.

«Malgré l'absence de cet appareil, les policiers continuent d'effectuer leur travail par l'administration d'épreuves de coordination de mouvements afin d'acquérir les motifs permettant d'effectuer une arrestation. Il s'agit de trois tests symptomatiques pratiqués sur les lieux des interceptions par les policiers.»

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse