Que deux films québécois soient finalistes dans une même catégorie en vue des Oscars est, de mémoire, une première. C'est survenu la semaine dernière lorsque les courts métrages de fiction Fauve de Jérémy Comte et Marguerite de Marianne Farley ont été sélectionnés. Avec le distributeur Jean-Christophe J. Lamontagne, les deux cinéastes sont les personnalités de la semaine de La Presse.

Leur travail est méconnu, et pourtant, les distributeurs forment un rouage essentiel de l'univers du cinéma. C'est grâce à eux si les films arrivent sous nos yeux tant en salle qu'en DVD, à la télévision ou en festival.

Jean-Christophe J. Lamontagne, 29 ans, est un jeune distributeur. Il a lancé sa boîte, h264 Distribution, il y a quatre ans. Il a cru dans la vision et la créativité de plusieurs cinéastes. Dont Jérémy Comte et Marianne Farley. Résultat : leurs films Fauve et Marguerite s'en vont aux Oscars.

Il y a de quoi être fier ! Le dernier film québécois finaliste aux Oscars dans cette catégorie est Henry de Yan England en 2013. Et, selon nos recherches sur le site des Academy Awards, le dernier film canadien à avoir remporté l'Oscar du meilleur court métrage de fiction (à ne pas confondre avec les courts d'animation) est Boys and Girls de Don McBreaty, en 1984.

Peut-on parler de flair dans le cas de M. Lamontagne ?

« Mon travail n'a pas été de dénicher une pépite d'or, répond l'intéressé. Ces deux films sont venus à moi et m'ont touché et ému. Comme ils ont touché et ému le public dans les festivals. Quiconque [chez les distributeurs] les aurait reçus les aurait pris sous son aile. »

M. Lamontagne, qui a étudié en réalisation à l'UQAM, aime mieux parler de travail acharné que de flair. « Semaine après semaine, il a fallu répondre à toutes les demandes de festivals, faire les inscriptions, etc. Distribuer un film est un travail de moine. Tout se fait à la pièce. Un distributeur est engagé dans chacune des étapes d'un passage en festival : inscription, envoi de matériel, etc. C'est la vision de ces cinéastes qui se retrouve aux Oscars. » 

« Moi, je travaille dans l'ombre, car je crois en leur film comme je crois au cinéma québécois. »

- Jean-Christophe J. Lamontagne, distributeur

Le tout ne se fait pas dans des conditions optimales. Bien au contraire, h264 Distribution est un organisme à la santé financière fragile. « On a failli fermer la boîte, il n'y a pas longtemps, faute de sous. En quatre ans, j'ai été payé cinq mois. Le reste est pro bono », indique M. Lamontagne.

« Jean-Christophe J. Lamontage est un distributeur qui se démarque grandement à plusieurs égards. C'est un être ultrasensible, honnête, généreux, transparent avec un flair exceptionnel pour les bonnes histoires, et qui sait s'entourer de gens tout aussi passionnés que lui, disent de lui Jérémy Comte et Marianne Farley. Tous les trois, nous nous rejoignons dans le désir de faire un cinéma engagé et universel. »

Expert dans le domaine et directeur de l'organisme Prends ça court ! qui tient un gala annuel du court métrage québécois, Danny Lennon se réjouit de ces nominations tout en espérant plus de visibilité pour ce genre cinématographique.

« Il doit y avoir une rencontre entre la population et cette forme du septième art, dit-il. Le court métrage est un format unique, une forme d'art exceptionnelle. Le talent au Québec est unique, les retombées de cette industrie sont sous-estimées. Nous devons donner l'appui adéquat aux artisans de cette industrie avec du financement, de la visibilité et un soutien approprié. »

Deux films très différents

Fauve et Marguerite sont très différents.

Le premier est campé dans le fond d'une carrière où deux jeunes garçons s'amusent jusqu'à ce qu'un drame horrible survienne. Le second se déroule dans l'appartement modeste d'une vieille dame qui, au contact de son infirmière gaie, fait la paix avec sa propre existence cachée.

Le premier met en scène deux jeunes, Félix Grenier et Alexandre Perreault (Louise Bombardier a un petit rôle), recrutés par casting sauvage et dont c'est la première expérience de tournage. Le second met en scène les lumineuses comédiennes chevronnées Béatrice Picard et Sandrine Bisson.

Le premier renvoie à un univers masculin. Le second à un univers féminin.

Mais tous deux font, étonnamment, écho à de vieux rêves des cinéastes.

« Ce qui arrive à un des personnages de mon film est issu d'un cauchemar que j'avais à 11, 12 ans, dit Jérémy Comte. J'imagine que cela faisait partie de mes angoisses d'enfant. »

« Je me suis toujours inspiré de mes plus grandes peurs dans mon cinéma. »

- Jérémy Comte

Quant à Marianne Farley qui, comme Jérémy Comte, en était à son deuxième court métrage de fiction, ce passage derrière la caméra est un vieux projet qui se réalise. « Alors que j'étudiais au cégep de Maisonneuve, j'ai fait un court métrage et j'ai ensuite voulu entrer au cinéma à Concordia. Je n'ai pas été prise. J'ai commencé à chanter puis à jouer. Mais ce désir de réaliser m'est revenu. Il a toujours été en moi. J'imagine que je devais passer d'abord devant la caméra, où j'ai beaucoup appris (et j'aime toujours ce métier de comédienne), avant de passer à la réalisation. »

Aux Oscars, le 24 février, cinq films sont finalistes dans la catégorie des courts métrages de fiction. Un seul va gagner. Mais comme nous le dit Jérémy Comte, peu importe qui gagne, être nommé aux Oscars est en soi une très grande victoire.

Jérémy Comte en quelques choix

Un film ?

There Will Be Blood, de Paul Thomas Anderson

Un livre ?

1Q84, d'Haruki Murakami

Un personnage historique ?

Louis Riel

Un personnage contemporain ?

Nina Simone

Une phrase ?

« Le plus grand risque est de ne pas prendre de risque. »

Quelle cause vous ferait descendre dans la rue pour manifester et qu'écririez-vous sur votre pancarte ?

« L'environnement, et j'écrirais :  "La consommation de viande menace la planète." »

Marianne Farley en quelques choix

Un film ?

La vie est belle, de Roberto Benigni

Un livre ?

Le parfum, de Patrick Süskind

Un personnage historique ?

Martin Luther King

Un personnage contemporain ?

Naomi Klein

Une phrase ?

« Les conflits dans le monde sont le miroir de nos conflits intérieurs non résolus. »

Quelle cause vous ferait descendre dans la rue pour manifester et qu'écririez-vous sur votre pancarte ?

« Le réchauffement climatique, et j'écrirais : "Sortons du déni ! Un minimum de vision politique, SVP !" »

Jean-Christophe J. Lamontagne en quelques choix 

Un film ?

The Tree of Life, de Terrence Malick

Un livre ?

L'instinct de survie, de Gabriel Filippi

Un personnage historique ?

Maurice Richard

Un personnage contemporain ?

Steve Jobs

Une phrase ?

« La définition de la folie, c'est de refaire toujours la même chose, et d'attendre des résultats différents. »

Quelle cause vous ferait descendre dans la rue pour manifester et qu'écririez-vous sur votre pancarte ?

« La gratuité scolaire, et j'écrirais : "L'éducation : un bien collectif !" »