Biologiste moléculaire de formation et PDG d'Agrisoma Biosciences, Steve Fabijanski est notre personnalité de la semaine.

Steve Fabijanski, un gars de Chicago, est arrivé au Canada, dans la région d'Ottawa, au début des années 80, après des études à Miami et dans le sud de la Californie. Pourquoi avoir choisi notre climat ? « Bonne question », répond le scientifique entrepreneur de Gatineau en riant. Peut-être avait-il envie de renouer avec les sports d'hiver ? Quand on a grandi dans l'Illinois, le froid, ça ne fait pas peur... 

La vraie raison, c'est qu'il y avait au Canada des gens qui faisaient de la recherche qui intéressait cet Américain, biologiste moléculaire de formation. Dès son arrivée ici avec son doctorat de l'Université de Californie du Sud, il a plongé dans un des sujets du moment : il a fait partie des équipes qui ont mis au point l'huile de canola.

Mais aujourd'hui, près de 40 ans et une vingtaine de brevets plus tard, et toutes sortes d'entreprises et de projets derrière lui, ce n'est plus l'huile à salade qui intéresse notre personnalité de la semaine. C'est plutôt l'huile végétale qui fait voler les avions.

À la tête de la société Agrisoma Biosciences de Gatineau depuis 2007, M. Fabijanski, 64 ans, avec l'aide de toute une équipe bien sûr, a en effet développé une nouvelle plante, la carinata, quelque part entre la moutarde - dont elle a la robustesse - et le canola - comme lui, ses graines sont riches en gras - qui permet de produire du biocarburant.

Et cette énergie sert, carrément, à faire voler des avions.

UNE PREMIÈRE

En janvier dernier, Qantas a effectué sa première liaison Los Angeles-Melbourne avec du biocarburant d'Agrisoma, le premier vol transpacifique effectué avec un tel combustible. Quelque 30 % des réservoirs de l'avion étaient remplis de carburant végétal. 

En septembre, c'est United Airlines qui a fait décoller un Boeing 787 de San Francisco en direction de Zurich, sans escale, là encore propulsé à 30 % par la carinata. Cette fois, avec ses 11 heures dans les airs, c'était le plus long vol transatlantique. 

Pourquoi pas les voitures ?

« Parce qu'il existe déjà bien des alternatives de transport », explique M. Fabijanski en entrevue. En revanche, pour l'avion, les humains n'ont pas le choix.

On ne va pas aller en car2go ou en Téo à Singapour ou à Oslo. Il était donc plus intéressant d'explorer le marché aérien en premier.

Les plants de carinata produisent des graines et donc une matière qui se divise en deux. La moitié est du gras, que l'on transforme en carburant, et l'autre moitié est de la protéine, dont on se sert pour nourrir les animaux, explique M. Fabijanski. 

« Et cette plante, on peut en faire pousser pas mal partout. »

Actuellement, une bonne partie du développement de l'entreprise se passe d'ailleurs de ce côté : faire pousser cette sorte de moutarde non comestible dans toutes sortes de pays et donc vendre des semences aux fermiers. Et M. Fabijanski assure que sa carinata pousse sans grand engrais chimique ou pesticide. « Et ce n'est pas modifié génétiquement. » « On peut dire que c'est de l'agriculture durable », assure le scientifique.

Un autre champ important : convaincre les compagnies aériennes d'utiliser ce combustible et ensuite s'assurer qu'il pourra se rendre aux avions, ce qui se fait à travers les aérogares. LAX et l'aéroport d'Oslo, par exemple, sont déjà installés. Mais Trudeau ? Pearson ? On n'est pas encore là. Physiquement, politiquement, il faut construire des façons d'approvisionner les avions et de financer, prioriser chaque étape. SAS est dans le coup, Qantas, Lufthansa, United... On attend les autres.

« On a pas mal de travail à faire », reconnaît M. Fabijanski. Et il y a des entreprises qui pilotent le changement et d'autres qui suivent, ajoute-t-il. 

« Mais si ma solution énergétique peut faire une marque de 1 % sur l'environnement, je serai content. » - Steve Fabijanski

« Et j'espérerai que 99 autres solutions fassent le reste », confie-t-il.

Se voit-il aujourd'hui comme un scientifique qui fait progresser la science de l'environnement, un homme d'affaires qui a découvert un nouveau produit à vendre ? « Je suis le gars qui a vu une opportunité », répond-il. Et qui remercie le Centre national de la recherche scientifique, qui a permis de faire avancer les travaux. Et tous ces gens, ces autres chercheurs, qui voulaient innover, qui voulaient changer les choses et qui ont fait que M. Fabijanski n'est jamais retourné aux États-Unis.