À seulement 40 ans, le chirurgien plasticien originaire de Montréal a offert une nouvelle vie à un patient défiguré en réalisant la première greffe de visage au Canada. Daniel Borsuk est notre personnalité de la semaine.

Daniel Borsuk vient d'orchestrer et de réaliser la première greffe de visage au Canada, mais il n'est pas sûr qu'il y ait matière à écrire un article sur lui. « Parler de chirurgie plastique, ça, je peux », lance notre personnalité de la semaine, alors que commence l'entrevue, dans son bureau de Westmount. « Mais parler de moi ? » 

Pourtant, le médecin spécialiste de 40 ans a la conversation facile. On parle de Montréal, ville qu'il adore, de restaurants, qu'il a l'air de fréquenter pas mal. Il raconte autant la fois où il est tombé par hasard sur Bono, au Filet, que le plaisir qu'il prend à se régaler de dosas, avenue Van Horne, pas très loin de chez lui à Mont-Royal. 

Il me raconte aussi que le matin même de l'interview, il a rencontré le greffé, connu sous le nom de Maurice, et sa femme. « Des anges », dit-il. Il le voit chaque semaine pour observer sa récupération depuis l'intervention du printemps dernier.

Le premier candidat à la greffe au Canada a été choisi avec minutie. Et pas uniquement parce qu'il fallait la santé et le corps prêt à accepter une telle transplantation, fruit du travail d'une équipe d'une centaine de personnes. Il fallait aussi choisir une personnalité capable de traverser cette épopée médicale, de prendre les risques.

Ce n'est pas rien que de se faire poser un nouveau visage, répète le médecin. « Le visage, c'est qui nous sommes. C'est la seule partie du corps qu'on ne peut pas cacher. »

Borsuk est né à Montréal au sein d'une famille de dentistes et d'orthodontistes, profession aussi de sa femme, avec qui il a eu trois jeunes enfants. 

Le chirurgien a aussi grandi ici. À Mont-Royal, où il habite encore, à Côte-Saint-Luc, où il a étudié avant de faire ses études collégiales à Dawson au centre-ville, puis ses études de premier cycle en physiologie et en commerce à McGill. 

L'étudiant d'alors s'intéresse aux finances et à l'administration de la santé quand il participe à un projet de recherche mené par un médecin qui voulait comprendre les problèmes d'ordre logistique et organisationnel ralentissant et mettant ainsi en péril les soins aux patients amputés. « Si tu perds un doigt ou un bras dans un accident, le temps que ça prend pour être traité est crucial », explique le médecin.

Le jeune homme de l'époque, qui pensait être horrifié par cette réalité, constate en allant assister à une opération qu'au contraire, l'idée de rebrancher un membre le fascine, l'émerveille. « C'est là que pour la première fois je me suis dit : "C'est ça que je veux faire dans la vie." »

Des études et du travail

Le jeune homme commence donc un deuxième cycle d'études en médecine et se lance aussi dans un MBA, qu'il fait le soir. 

De cette époque, il se rappelle amplement les heures innombrables de travail, mais aussi sa première visite au grand laboratoire où se font les dissections humaines à McGill, en face de l'ancien hôpital Royal Victoria. « Là, ça m'a frappé encore à quel point je voulais être chirurgien. » Il raconte aussi que dans la salle, nombreux étaient les hommes pris de malaise, alors que les étudiantes, elles, ne semblaient pas dérangées... 

Une fois la première étape du cours de médecine terminée, il doit se spécialiser en chirurgie plastique, ce qu'il fait à l'Université de Montréal. Et pour la reconstruction de visage, il choisit d'aller passer un an à Johns Hopkins, à Baltimore, le plus grand centre de traumatologie. « Le meilleur endroit au monde », dit-il, précisant que la ville est aussi remplie de bons restaurants, avec de bons produits de la mer et des chefs sérieux. « Connaissez-vous le Black Olive ? », demande-t-il. C'est le restaurant du frère du fondateur de Milos, nous apprend-il.

À Johns Hopkins, le médecin travaille sur les visages avec le docteur Eduardo Rodriguez, un mentor. Le Montréalais fait partie de l'équipe quand le médecin américain décide en 2012 d'entreprendre la plus importante transplantation faciale jamais réalisée, où un visage entier est transféré : une opération de 36 heures, mettant en jeu une centaine d'acteurs, comme ç'a été le cas à Montréal au printemps. Pour de tels projets, il faut une foule de gens de spécialités différentes, des éthiciens aux inhalothérapeutes, en passant, évidemment, par les chirurgiens, les travailleurs sociaux, les infirmiers...

Si la première transplantation a eu lieu en 2005 en France - le pays où travaille le grand spécialiste mondial de cette intervention, Laurent Lantieri, « une rock star ! » qui en a pratiqué huit -, c'est celle de 2012 qui demeure la plus étendue. 

Le Dr Borsuk travaille sur le projet canadien depuis son retour ici. Parallèlement, il a sauvé toutes sortes de visages, notamment celui de la petite Virginie Biron de Brossard, attaquée par un pitbull. Il pratique à Sainte-Justine, où il a vu la jeune Biron, à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, où a été réalisée la greffe de visage, et à une clinique privée à Westmount, où ses travaux sont plus classiques. Mais il ne minimise pas l'importance de la chirurgie plastique esthétique. Pour beaucoup de gens, dit-il, ça fait une énorme différence dans leur vie. L'intervention qui a le plus d'effets positifs sur le moral ? Les réductions mammaires. 

Et y a-t-il d'autres projets de greffe de visage en marche ? « Je n'ai personne sur une liste d'attente », répond-il. Mais connaît-il des gens qui pourraient en bénéficier, ici ? « Çà oui, et vous ne les avez probablement jamais vus. Ils ne sortent pas. C'est ça qui est vraiment triste. » 

Et c'est ça que Maurice voulait changer dans sa vie et qu'il peut maintenant faire grâce à son nouveau visage : sortir. Vivre.

DANIEL BORSUK EN QUELQUES CHOIX

UN LIVRE

La révolte d'Atlas d'Ayn Rand, paru en 1957

UN PERSONNAGE HISTORIQUE

Le roi David. « Il a grandi avec rien, il s'est battu contre le sort et a gagné. Et c'était un roi juste. »

UN PERSONNAGE CONTEMPORAIN

Steve Jobs, le cofondateur de Apple

UNE CITATION

« Ayez un impact sur le monde. » - Steve Jobs

UNE CAUSE QUI VOUS FERAIT DESCENDRE DANS LA RUE POUR MANIFESTER

« Tout ce qui nuirait à l'éducation. C'est la chose la plus importante. » Sur la pancarte du manifestant, il serait écrit : « Faites de l'éducation quelque chose de grand. »