Chef du restaurant Chez St-Pierre, au Bic, notre personnalité de la semaine a été récemment couronnée chef de l'année aux premiers Lauriers de la gastronomie québécoise

Dans le vaste monde de la gastronomie québécoise, voire internationale, Colombe St-Pierre est dans une catégorie à part. La catégorie de l'excellence, bien sûr, d'abord et avant tout, mais aussi celle réservée aux boute-en-train au rire contagieux, aux amateurs de perruques platine et autres tenues façon manga, celle des chefs qui parlent politique et veulent changer le monde, une assiette, une carotte, un canard à la fois. La catégorie de Colombe, c'est aussi celle de ceux qui triment loin des grands centres, au Bic dans son cas, et qui tiennent année après année leur commerce, Chez St-Pierre en l'occurrence, à bout de bras.

Notre personnalité de la semaine, couronnée chef de l'année aux premiers Lauriers de la gastronomie québécoise, qui ont eu lieu en avril dernier, n'a pas une carrière banale.

Son enfance, d'abord, elle l'a passée sur une île, l'île Bicquette, au large du parc du Bic, dans l'estuaire du Saint-Laurent, près de Rimouski. Son père y était gardien de phare.

C'est dans cet univers isolé, un sanctuaire d'eiders à duvet interdit aux visiteurs non autorisés, à 20 minutes de bateau de la côte, qu'elle a passé ses premières années, avec son père, sa mère, une ancienne de l'ONF ayant décroché du documentaire pour élever ses enfants, et ses deux frères, dont l'un travaille aujourd'hui dans le domaine de la musique et l'autre en théâtre.

Quand est venu le temps d'aller à l'école, la famille a déménagé sur la côte, non sans retourner passer toutes les grandes vacances sur l'île.

De cette enfance au milieu du fleuve Saint-Laurent, St-Pierre garde des images idylliques. Est-ce que ça a influencé sa personnalité ? 

« Oui, c'est sûr, je suis un peu Blue Lagoon, pleine de naïveté face au reste du monde. Et j'ai gardé ce besoin de voir l'horizon, de l'avoir tout autour de moi. »

Quand vient le temps de faire des études collégiales, la jeune fille, qui a de très bonnes notes à l'école, décide d'aller étudier la science à Montréal. Mais elle a 17 ans et a besoin de payer son loyer. Elle commence comme plongeuse dans un restaurant, La Marivaude, et gravit doucement les échelons en changeant de lieu. Elle travaille notamment au Caveau. Apprend la cuisine. À 18 ans, elle devient chef dans un bar à vin appelé Le Pinot Noir et se fait remarquer par un professeur de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ), Jean-Paul Grappe, qui la prendra sous son aile et plus tard l'aidera financièrement à acheter son restaurant du Bic, Chez St-Pierre.

Entre-temps, ses études bifurquent vers la création littéraire, et plus tard ce sera l'université à distance.

« Je ne suis pas restée longtemps au Pinot Noir, mais ça m'a marquée, raconte la chef. C'est là que j'ai réalisé que j'aimais vraiment la cuisine, mais aussi que je n'en savais pas assez. »

Huit ans de voyages

La jeune femme veut ensuite voyager et la cuisine, pour ça, est un atout. Elle va en Asie, en Australie, en Europe, notamment à Hanovre, où le Canada a un pavillon à l'Exposition universelle. Elle travaille dans des restaurants. En Asie, elle se lie d'amitié avec un gars du sud de la France qui lui présentera plus tard son frère, un certain Alexandre Vincenot. Il deviendra son conjoint et le copropriétaire de Chez St-Pierre au Bic, où il est également maître d'hôtel et serveur. Il est le père de ses trois filles : Jeanne, 10 ans, Margaux, 6 ans, et Simone, 4 ans.

Colombe voyage ainsi pendant huit ans pour revenir ensuite au Bic. En 2004, elle achète ce qui est maintenant Chez St-Pierre, une table d'une immense qualité, où la chef cuisine avec des produits locaux, naturels, frais, en saison. « Je n'avais pas les moyens de faire ça, dit-elle, mais c'était mon choix. Ça m'obligeait à être créative. »

Ce parti pris l'amène à se plonger dans des dossiers économiques, voire politiques, touchant l'agriculture. 

« Je ne peux pas m'imaginer toucher la nourriture sans me préoccuper de son avenir... Je veux poser des gestes aujourd'hui pour que demain soit meilleur. C'est difficile, parfois vraiment épuisant, mais ça me nourrit de penser que je peux changer les choses. »

La chef ne comprend pas les barrières dressées par les gouvernements et les grands syndicats qui limitent le travail des petits artisans. Elle n'accepte pas que le système de pourboires officiel mis en place par Québec crée une disparité énorme entre les revenus des cuisiniers et des serveurs. Elle s'insurge devant nos difficultés d'approvisionnement en produits locaux. « Pourquoi on mange des crevettes tigrées de Thaïlande alors qu'on est sur le bord du fleuve ? » Comme société, on devrait protéger nos accès à nos produits, dit-elle. Actuellement, ils partent trop souvent à l'exportation.

Colombe St-Pierre voit l'alimentation comme la base d'un projet de société. Selon elle, on devrait faire de l'accès à des produits d'ici, frais, naturels, souvent artisanaux, équitables, cohérents, un combat politique, comme on l'a fait pour la langue dans les années 60 et 70.

Son père, qui n'est plus gardien de phare, est devenu conservateur de patrimoine naval. Il rénove des bateaux. Colombe, elle, veut bâtir l'avenir avec le patrimoine vivant, actuel, constant, ancré dans l'histoire et la nature, qu'est notre nourriture.

Colombe St-Pierre en quelques choix

Un livre : Physiologie du goût de Brillat-Savarin. « Il y explique que la nourriture est un marqueur de sociétés et c'est fondamental. »

Deux films : Chat noir, chat blanc, comédie d'Emir Kusturica, et Kill Bill de Quentin Tarentino, pour le personnage féminin fort et fâché interprété par Uma Thurman.

Une phrase : « Tout vient à point à qui sait attendre. »

Un personnage historique : Jeanne d'Arc !

Un personnage contemporain : Madonna. « Pour l'ensemble de son audace et sa constance. C'est la reine de la pop ! »

Une cause qui la ferait descendre dans la rue : « Toute injustice me donne envie de descendre dans la rue, ça vient vraiment me chercher. Sur ma pancarte, j'écrirais "Ensemble" parce que, peu importe la cause, on ne fait rien seul. »