Michel Chrétien est célèbre pour bien des choses. Ses découvertes médicales, son nom de famille, son rôle dans l'avancement et la défense de la science au Québec, notamment alors qu'il dirigeait l'Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM).

Mais le médecin de 81 ans n'est pas peu fier d'avoir accompli une autre chose : convaincre l'Académie française d'adapter et d'accepter le mot « sérendipité », d'origine sri-lankaise, souvent utilisé en science à propos de découvertes réalisées de manière fortuite au gré d'un heureux concours de circonstances...

« On parlera ainsi de sérendipité à propos d'un brillant mais négligent chercheur anglais [en fait écossais] qui avait la réputation d'oublier régulièrement ses boîtes à culture, et qui, rentrant de vacances, eut la surprise de découvrir dans l'une d'elles qu'une forme de moisissure avait empêché le développement des bactéries. Alexander Fleming venait de découvrir la pénicilline », explique l'Académie française sur son site internet.

Michel Chrétien adore ce mot, car, dit-il, il décrit bien son propre cheminement...

Le Dr Chrétien, notre personnalité de la semaine, dont le nom a été récemment inclus dans le Petit Larousse - où figurait déjà son célèbre frère Jean - et qui a été accueilli au Temple de la renommée médicale canadienne, est le 19e enfant d'une famille modeste de la Mauricie, connue pour son attachement à l'éducation. Parmi les neuf enfants qui sont devenus adultes et ont survécu aux difficultés de la vie campagnarde dans la première moitié du siècle dernier, six ont obtenu des diplômes universitaires.

Enfant, Michel n'était pas particulièrement porté sur les expériences scientifiques, raconte-t-il. « On était trop pauvres, ça ne faisait pas partie de nos vies. » Mais une fois rendu au collège de Joliette, la flamme s'allume.

Il regarde dans un microscope ce qui se cache dans l'eau d'un pot où on a mis aussi des branches de foin. Et là, il découvre un univers vivant invisible à l'oeil nu. Une passion vient de naître.

Quand vient le temps d'aller à l'université, le chercheur hésite. La chimie ou la médecine ? L'aspect humanitaire, aidant, de la médecine, le pousse à emprunter cette voie à l'Université de Montréal. Mais sa passion pour la chimie le suit. Il devient endocrinologue, mais cherche toujours à améliorer ses connaissances médicales tant avec son microscope qu'avec son stéthoscope. Il veut comprendre les molécules biologiques, celles des hormones, évidemment, son champ médical.

Son chemin le conduit chez Jacques Genest, une sommité en médecine qui fondera plus tard l'IRCM. Stagiaire de ce mentor crucial, il décide de poursuivre ses études aux États-Unis et demande une résidence à Harvard. « J'étais au bon endroit au bon moment, dit le Dr Chrétien. Ils m'ont pris, mais c'est surtout le stagiaire de Genest qui a été accepté. » Là, il travaille avec un spécialiste de la maladie de Cushing, liée à l'hypophyse, George Cahill, qui lui recommande d'aller faire de la recherche à Berkeley avec le biochimiste Choh Hao Li, immense spécialiste de l'hormone de croissance.

Là, le Dr Chrétien se fait donner une « fiole d'hormones » à « séquencer », un truc secondaire qui ne figure pas au centre des travaux du chercheur d'origine chinoise. Mais le jeune Chrétien se met à chercher quelles sont ces hormones inconnues, à la mitaine, puisque les labos des années 60 n'ont pas les capacités d'aujourd'hui... Et là, il découvre que les hormones peuvent en cacher d'autres. Il établit la théorie des « prohormones », qui « fera [sa] carrière ».

En effet, la découverte ne marque pas la fin d'une quête, mais plutôt l'ouverture d'un champ de recherche sur les hormones, leur fonctionnement, leur nature, ces entités jouant un rôle crucial dans le fonctionnement du corps humain et étant liées à une foule d'affections et de maladies.

Sur le site internet science.ca, qui répertorie les grands scientifiques canadiens, on explique ainsi l'importance du chercheur : 

« Endocrinologue qui a ouvert toute une branche nouvelle de la biologie par la découverte des convertases, enzymes qui clivent les protéines pour créer des produits chimiques qui sont biologiquement actifs, comme les hormones. »

Après cette découverte, celui qui est devenu père de deux enfants revient à Montréal, où il recommence à travailler avec le Dr Genest, qui créera l'IRCM, dont le Dr Chrétien sera plus tard directeur.

« Vous voyez comme tout ça, c'est de la sérendipité ? »

La suite de sa carrière est remplie d'autres honneurs et d'autres découvertes, d'années à Montréal, mais aussi à Ottawa, où il sera directeur scientifique de l'hôpital Civic. En tout, le Dr Chrétien publiera environ 600 articles scientifiques. Il ouvrira le premier laboratoire de chimie des protéines. Il deviendra professeur émérite de la faculté de médecine de l'Université de Montréal, membre de la Société royale du Canada, officier de l'Ordre du Canada, officier de l'Ordre national du Québec et lauréat de plusieurs importantes distinctions, dont le prix du Québec Wilder-Penfield 2015.

Aujourd'hui, le Dr Chrétien continue de travailler - « à cause d'un intérêt continu pour la découverte et l'apprentissage » -, il a quatre petits-enfants et un arrière-petit-enfant. Aucun ne fait de la recherche, mais un des petits-enfants est médecin, comme lui. Un clinicien. Ce que le chercheur n'a jamais cessé d'être aussi. « J'ai toujours continué. Pour environ 20 % de mon temps », dit-il. Parce que la recherche a toujours eu un but clair : améliorer les connaissances chimiques, pointues, précises, mais aussi très tangibles de l'endocrinologue. Comme le souhaitait celui qui a choisi la médecine en 1955 parce que cela lui permettrait d'aider les gens.