Pendant 31 ans, Judith Mappin a tenu la seule librairie québécoise vendant exclusivement des ouvrages d'écrivains canadiens. C'est grâce à ses efforts inlassables que la littérature canadienne est aujourd'hui reconnue à part entière tant ici qu'à l'étranger.

Au tournant des années 70, les grands magasins et les librairies tenaient une poignée de livres d'auteurs canadiens. La littérature d'ici était considérée comme un sous-genre de celle des Américains ou des Britanniques. C'était avant l'entrée en scène de Judith Mappin et de ses associées, Joan Blake et Hélène Holden, qui, devant cette injustice, ont chacune investi 3000 $ afin d'ouvrir une boutique qui vendrait uniquement des ouvrages d'écrivains canadiens.

Ainsi est né le Double Hook Book Shop, une enseigne unique et emblématique dans le paysage littéraire de la province. Elle a eu pignon sur rue dans Westmount pendant 31 ans, faisant connaître Alice Munro, Margaret Atwood, Mordecai Richler et Robertson Davies, pour ne nommer que ceux-là, en plus d'offrir toutes les traductions en anglais des auteurs québécois francophones.

La petite librairie indépendante a fermé ses portes en 2005. Le 14 février dernier, Judith Mappin a disparu à son tour, laissant derrière elle de nombreux auteurs, éditeurs, libraires et anciens fidèles du Double Hook qui la vénéraient.

«J'ai siégé pendant un temps au conseil d'administration du Festival Métropolis Bleu et je peux vous dire qu'à leurs yeux, elle était une déesse», affirme l'avocat Maurice Forget, qui a grandi auprès des enfants de Judith Mappin dont il était le voisin.

Car la propriétaire du Double Hook ne faisait pas que vendre des livres. Elle était une ardente promotrice de la littérature canadienne. Elle a tenu plus de 3000 lancements de livre et de lectures publiques dans son magasin. Elle se faisait aussi un devoir d'envoyer des oeuvres canadiennes dans les ambassades, les consulats, les bibliothèques nationales et les universités étrangères.

«C'est ainsi qu'elle a donné un sens au travail des auteurs canadiens, estime l'un de ses meilleurs amis, l'auteur Terry Rigelhof. Elle voulait que les gens sachent que notre littérature est importante.»

Lui-même a lancé huit des neuf livres qu'il a écrits au Double Hook. «Le dernier est sorti après la fermeture de la librairie, ce qui me peinait beaucoup. N'empêche, Judy et tous les employés du Double Hook ont débarqué à mon lancement. Cela m'a profondément ému», dit avec un trémolo dans la voix celui qui a dédié ce dernier roman à sa meilleure amie.

Une philanthrope discrète

Les réalisations de Judith Mappin lui ont valu de nombreux honneurs, mais rarement en prenait-elle le crédit. «Elle attribuait toujours ses succès aux efforts des autres», remarque Maurice Forget.

«C'était une femme modeste, très humble, souligne sa belle-soeur Noreen Taylor. Elle faisait toujours passer les autres avant elle. Par exemple, c'est d'un air penaud qu'elle m'a annoncé qu'elle était récipiendaire de l'Ordre du Canada. Elle était heureuse, bien sûr, mais elle était aussi attristée de ne pouvoir inviter tout le monde à la cérémonie... parce qu'elle ne voulait pas qu'il y ait de laissés-pour-compte.»

Son humilité était telle que «personne n'aurait pu dire qu'elle était la fille du magnat canadien et homme d'affaires E.P. Taylor», ajoute Terry Rigelhof.

Judith Mappin a ainsi hérité d'une fortune qu'elle s'est employée toute sa vie à redistribuer. Chaque année, elle appuyait une centaine de causes en lien avec le patrimoine, l'écologie, les animaux et l'éducation. Peu de personnes connaissaient l'étendue de ses activités philanthropiques, car fidèle à ses habitudes, elle préférait ne pas en parler. «Judy souhaitait seulement faire ce qui lui semblait juste et bon», explique Noreen Taylor.

Judith Mappin laisse dans le deuil ses enfants John, Jefferson, Jane et Charles ainsi que ses petits-enfants Benjamin, Antonia et Olivia.