Moderne avant son temps, Françoise Dufour a traversé un siècle en se laissant guider par son insatiable curiosité. L'enseignante dans l'âme et grande voyageuse quadrilingue s'est éteinte le 12 décembre à l'âge de 95 ans.

Dès son enfance à Glen Robertson, en Ontario, alors qu'elle travaillait au magasin général tenu par ses parents, la petite Françoise faisait preuve d'une extraordinaire aisance relationnelle. «Lorsqu'elle entrait dans une pièce, doucement et tranquillement, ma mère séduisait tout le monde par son allure, sa gentillesse et son talent de communicatrice», observe l'aînée de ses filles, Johanne Dufour.

Après avoir falsifié son acte de naissance lui permettant d'accéder à l'école normale en accéléré, Françoise devenait à 16 ans institutrice dans une école de rang. Du haut de ses 5'6" et ses 112 livres, elle enseignait à 40 enfants de la première à la huitième année. «Le plus vieux de ses élèves avait à peine trois mois de moins qu'elle. Elle nous a raconté qu'elle rentrait chez elle complètement vidée, avalait une soupe et se couchait à 18 h», relate sa fille aînée.

Après avoir enseigné quelques années, Françoise a suivi ses soeurs vers le Québec en 1939 pour travailler notamment comme secrétaire du médecin de Sorel Industries, une entreprise qui construisait des navires de guerre. C'est à cette époque, dans un cours d'espagnol, que Françoise Touchette a rencontré son futur époux et père de ses quatre enfants, le comptable Léonce Dufour (1909-1960). «Ils avaient tous les deux un talent inouï pour les langues. Premiers de classe, ils se disputaient les meilleures réponses. Papa avait aussitôt reconnu l'intelligence et la bonté d'âme de maman. Il faut dire qu'elle était magnifique», relève affectueusement sa fille.

Veuve à 42 ans, Françoise Dufour a parachevé son apprentissage de l'espagnol et offert des cours privés dans sa maison de l'Ouest-de-l'Île. Puis, vers la fin des années 60, l'ex-institutrice découvrait l'espéranto, une langue construite destinée à rapprocher les peuples par-delà leurs différences et qui possède des sonorités rappelant l'italien et l'espagnol et dont l'écrit ressemble à certaines langues slaves.

Normand Fleury a fait sa connaissance en 1982, aux balbutiements de la Société québécoise d'espéranto qu'il préside aujourd'hui. «Elle nous avait offert son support, si fière qu'elle était de voir des jeunes s'investir, relate-t-il. L'enseignement aura teinté toute sa vie. Elle aimait être présente parmi les jeunes, tout en laissant la place nécessaire à leur épanouissement.»

Citoyenne du monde

Ce n'est que vers la cinquantaine que Françoise Dufour a répondu à l'appel du voyage. D'abord en Espagne, puis à la rencontre d'espérantistes du monde entier, notamment lors des congrès internationaux d'espéranto. «C'était une voyageuse dégourdie qui partait sans itinéraire et voyageait de ville en village au rythme de ses rencontres», relate Johanne Dufour.

La cadette de ses filles, Carole Dufour, n'avait que 16 ans lorsqu'elle a accompagné sa mère dans un grand périple en Amérique du Sud. «Nous sommes parties avec 1500 $ contre le ventre et le livre South America on Five Dollars a Day à la main. Je me souviens qu'en Colombie, alors que ma mère conversait avec notre hôtesse espérantiste au salon, j'apprenais la salsa avec son fils au sous-sol. C'était un voyage mémorable de 16 escales que ma mère avait orchestré de A à Z», raconte-t-elle.

Avant que la maladie d'Alzheimer ne vienne la ralentir au soir de sa vie, la globe-trotter faisait un ultime voyage à Pando, en Uruguay, où elle avait longtemps offert des ateliers d'alphabétisation aux femmes comme missionnaire laïque. L'enseignement, le dialogue et l'amitié sans frontières auront été de tout temps au coeur de sa vie.