Le monde de la viticulture québécoise est en deuil. Il a perdu son «sage». Le docteur Jacques Papillon, propriétaire durant près de 30 ans du premier vignoble de la province, le Domaine des Côtes d'Ardoise à Dunham, s'est éteint dimanche à l'âge de 78 ans.

Avec son imposante stature, sa chevelure blanche ainsi que sa voix grave et calme, Jacques Papillon ne laissait personne indifférent, selon le président de l'Association des vignerons du Québec et ancien «voisin» à Dunham, Charles-Henri de Coussergues, du vignoble l'Orpailleur. « Il était impressionnant par son humilité. Il avait tout un bagage, mais il n'a jamais cherché à étaler quoi que ce soit », ajoute-t-il.

M. Papillon était un bâtisseur. Un vrai. Et il n'a pas oeuvré que dans le milieu du vin. On doit également à ce chirurgien plasticien la fondation du Centre des grands brûlés de l'Hôtel-Dieu de Montréal en 1985.

Même si son emploi du temps était très chargé, il était malgré tout présent à son vignoble de Dunham et actif au sein de l'Association des vignerons. « Il a toujours suivi de près l'association. Au fil des ans, il y a parfois eu des échanges houleux, tendus. C'est toujours lui qui se levait dans la salle pour ramener les gens à l'ordre avec humour. C'était le sage de l'association. Il fait partie de l'histoire de la viticulture québécoise », dit Charles-Henri de Coussergues.

Selon ce dernier, M. Papillon avait bien sûr une passion pour la vigne, mais aussi pour « tout ce qu'il y a autour de la vigne »: les gens et la beauté de la nature et des fleurs, en particulier.

Au téléphone

C'est par l'entremise de Christian Barthomeuf que le docteur Papillon est devenu propriétaire, en 1984, de ce qui est devenu le Domaine des Côtes d'Ardoise. Pionnier à sa façon, M. Barthomeuf a acheté la ferme en 1978 et y a planté les premières vignes. Les routes des deux hommes se sont croisées lorsque le jeune vigneron a fait goûter à Jacques Papillon, déjà propriétaire à Dunham, son premier vin rouge, tout en lui exposant son besoin d'un soutien financier pour poursuivre cette aventure qualifiée d'une peu folle en sol québécois, à l'époque.

« Il a cru en moi », a dit hier Christian Barthomeuf. Celui-ci a ainsi vendu sa propriété à M. Papillon et est demeuré régisseur de la production viticole jusqu'en 1991. Selon M. Barthomeuf, le chirurgien plasticien, fait Officier de l'Ordre du Canada, était bien engagé dans le Domaine. Même à distance.

« Tous les soirs, il écoutait le Téléjournal et Le Point et après, à 23 h, il m'appelait pour parler du vignoble, mais aussi parfois pour parler de tout et de rien. On discutait 45 minutes, une heure. Ça pouvait même durer jusqu'à deux heures. J'ai toujours détesté le téléphone. Mais avec lui, c'était plaisant. On a fait ça pendant sept ans », raconte M. Barthomeuf qui est aujourd'hui propriétaire du Clos Saragnat, à Frelighsburg.

Christian Barthomeuf a ensuite quitté les Côtes d'Ardoise pour se consacrer à l'élaboration du cidre de glace, dont il est le créateur.

Relève

Jacques Papillon a vendu le Domaine des Côtes d'Ardoise à Julie Tassé et Steve Ringuet en 2011. Il avait conservé une participation symbolique dans l'entreprise. « Notre équipe est très attristée », a dit cette semaine Mme Tassé. « J'ai travaillé avec lui, plutôt que pour lui, pendant 14 ans. Des années inoubliables. Merci d'être passé dans nos vies », a témoigné le gérant de la viticulture, Jean-Pierre Ménard, sur la page Facebook du vignoble.

Selon Julie Tassé, la nouvelle du décès de M. Papillon a créé « une onde de choc dans le milieu culturel », car il avait mis sur pied en 2001 l'événement Nature et création. Cela a permis à environ 60 artistes d'exposer au vignoble au fil des ans. Malade, il n'a pu assister à l'événement l'été dernier pour la première fois.

Les nouveaux propriétaires du Domaine ont élaboré un vin blanc baptisé Le Monarc, en guise de « clin d'oeil » à Jacques Papillon et à «la passation des pouvoirs », explique Julie Tassé. «On va sûrement trouver quelque chose d'autre pour honorer sa mémoire », ajoute-t-elle.