(Ottawa) L’ancien chef du Parti conservateur Erin O’Toole est catégorique : les activités d’ingérence étrangère menées par la Chine durant les élections fédérales de 2021 ont coûté à son parti la victoire dans au moins neuf circonscriptions au pays.

Ce qu’il faut savoir

  • La Commission sur l’ingérence étrangère examine les activités menées par la Chine, la Russie et l’Inde pour influencer les résultats des élections de 2019 et de 2021.
  • L’ancien chef conservateur Erin O’Toole affirme que son parti a perdu entre cinq et neuf sièges en 2021 à cause d’une vaste campagne de désinformation menée par le régime de Pékin.
  • Le premier ministre Justin Trudeau va aussi comparaître devant la commission présidée par la juge Marie-Josée Hogue.

En soi, cela n’aurait pas changé le résultat final du dernier scrutin, qui a vu les libéraux de Justin Trudeau remporter un deuxième mandat minoritaire. Mais ces activités d’ingérence, qui ont pris la forme d’un « déluge de désinformation » sur les réseaux sociaux WeChat et Douyin et visaient la diaspora chinoise dans des circonscriptions des régions de Vancouver et de Toronto, vont continuer de prendre de l’ampleur, a affirmé M. O’Toole, qui témoignait devant la Commission sur l’ingérence étrangère.

« Chaque vote compte pour protéger notre démocratie. […] Nous devons en faire plus pour sauvegarder notre démocratie parlementaire », a plaidé M. O’Toole, qui a quitté la politique en juin dernier, moins de 18 mois après avoir été éjecté de son poste de leader par son caucus.

Durant son témoignage de près de deux heures au cours duquel il est demeuré calme et précis, M. O’Toole a déploré que les hauts fonctionnaires responsables de veiller à l’intégrité des élections fédérales n’aient pas jugé opportun d’informer son parti des activités d’ingérence étrangère de la Chine.

Pourtant, des documents remis à la Commission préparés par les membres du Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections (également connu sous l’acronyme SITE en anglais) le 13 septembre 2021, soit en pleine campagne électorale, rapportaient qu’il y avait des efforts soutenus par Pékin pour miner la crédibilité de candidats du Parti conservateur, jugé hostile au régime communiste chinois.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Erin O’Toole témoignait mercredi à la Commission sur l’ingérence étrangère, présidée par la juge Marie-Josée Hogue.

« Nous n’avons jamais été informés de cela », a confirmé M. O’Toole, affirmant que les garde-fous mis sur pied pour contrer l’ingérence étrangère par le gouvernement Trudeau avaient visiblement échoué.

Sur les réseaux sociaux comme WeChat, on a faussement affirmé qu’un gouvernement conservateur dirigé par Erin O’Toole pourrait rompre les relations diplomatiques avec la Chine et pourrait aussi exiger que les Canadiens d’origine chinoise déclarent dans un éventuel registre des agents d’influence étrangers leurs voyages à l’étranger et les rencontres qu’ils pourraient avoir avec des représentants d’un autre pays.

« Il y a eu des informations horribles qui ont circulé pour provoquer la peur et supprimer le vote », a affirmé M. O’Toole.

Il a aussi indiqué que son parti avait soumis des informations pertinentes sur des campagnes de fausses nouvelles ciblant certains candidats conservateurs aux membres de SITE, mais que personne n’avait semblé prendre cela au sérieux. Plusieurs incidents ont été relevés par des organisateurs du parti dans certaines circonscriptions. « Nos conversations avec les membres de SITE étaient à sens unique », a-t-il avancé.

Il a indiqué avoir songé à dénoncer les activités menées par la Chine durant la dernière campagne, mais il ne l’a pas fait parce qu’il craignait que cela ait des conséquences négatives. « Avec le recul, je regrette de ne pas l’avoir fait », a-t-il dit.

En prévision du dernier scrutin, son parti avait adopté une formule de projections de sièges assez détaillée qui, selon lui, donnait au moins 127 sièges au Parti conservateur. Or, le jour du vote, le Parti conservateur n’a remporté que 119 sièges.

Certes, la controverse entourant la vaccination obligatoire imposée par le gouvernement Trudeau a coûté la victoire aux conservateurs le jour des élections. Mais M. O’Toole estime que son parti a perdu de « cinq à neuf sièges » en raison de la campagne d’ingérence menée par la Chine.

L’ancien chef conservateur a reconnu que son parti avait proposé d’adopter la ligne dure face à la Chine dans son programme électoral. Le Parti conservateur proposait alors d’interdire le géant des communications chinois Huawei sur le territoire canadien, d’adopter un registre d’influence des agents étrangers, de mettre fin à la participation canadienne à la Banque d’infrastructure asiatique et de dénoncer sans ménagement la violation des droits des minorités en Chine, notamment la minorité ouïghoure.

Toutefois, il a fait valoir que plusieurs de ces propositions faisaient aussi partie du programme du Parti conservateur lors des précédentes élections et que cela n’avait pas eu d’effet sur la sortie du vote.

Invité à commenter les déclarations de l’ancien chef conservateur, le premier ministre Justin Trudeau a suggéré que ce dernier cherchait à se dédouaner pour la défaite qu’il a encaissée en 2021.

« Je comprends que pour M. O’Toole, il aimerait regarder des raisons autres que sa propre performance qui a mené à leur échec dans les élections », a-t-il lâché en marge d’une annonce prébudgétaire à Toronto. Mais experts et hauts fonctionnaires « ont conclu définitivement que les élections en 2019, en 2021, n’ont pas été affectées par l’ingérence étrangère », a-t-il poursuivi, en convenant que « oui, comme toujours, il y a eu des attentats [tentatives] d’ingérence étrangère » qui n’ont cependant pas « abouti à des changements dans les résultats des élections ni dans aucun siège à travers le pays ».

L’ancien député conservateur Kenny Chiu, qui a mordu la poussière aux dernières élections, a aussi été appelé à témoigner après Erin O’Toole mercredi. Il a réaffirmé sa conviction que le régime de Pékin avait mené une campagne de désinformation contre lui après qu’il eut déposé un projet de loi visant à créer un registre des agents étrangers.

La Chine nie fermement toutes les allégations selon lesquelles elle s’est immiscée dans les élections fédérales de 2019 et 2021.

Avec la collaboration de Mélanie Marquis, La Presse