L’unité spéciale des Forces armées canadiennes chargée de recruter des collaborateurs étrangers en zone de guerre est surexposée à d’importantes quantités de drogue lors de ses délicates sorties sur le terrain, au point où la hiérarchie militaire s’inquiète de voir un jour une mission compromise par la consommation de stupéfiants, selon des documents obtenus par La Presse.

Les documents classés « secrets », dont nous avons obtenu des exemplaires largement caviardés en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, concernent une unité méconnue du renseignement militaire, appelée JTF-X (pour Joint Task Force X ou Force opérationnelle interarmées X).

Cette unité triée sur le volet est la seule dans l’ensemble des Forces armées qui a la charge de recruter des informateurs en pays étranger. Elle sert exclusivement à déployer des soldats spécialisés « pour collecter et rapporter des informations obtenues de sources humaines, dans le but de satisfaire les besoins en renseignement des commandants sur le plan tactique, opérationnel et stratégique », lit-on dans une note de breffage rédigée en septembre 2021 par le major général Michael Wright, chef du renseignement de la Défense, à l’intention du chef d’état-major de la Défense.

Groupes dangereux

Pour recruter leurs informateurs, ces « spécialistes militaires » doivent côtoyer « des individus qui ont accès à des réseaux terroristes, au crime organisé, à des services de renseignement étrangers, à des dirigeants corrompus et à d’autres groupes dangereux au sein du pays hôte », précise la note.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La guerre en Afghanistan est la seule mission de l’unité dont les Forces armées acceptent de discuter publiquement. Ici, on voit un soldat visiter un champ de cannabis dans la région de Spin Bodak, en 2007.

Or, « les drogues illicites sont abondamment disponibles dans la majorité des théâtres d’opérations » où le JTF-X est déployé, poursuit le document. C’était le cas lors de la guerre en Afghanistan, la seule mission de l’unité dont les Forces armées acceptent de discuter publiquement. Toutes les autres opérations du JTF-X demeurent secrètes à ce jour, a confirmé une porte-parole de la Défense nationale à La Presse.

La hiérarchie s’inquiète du sort de ces militaires qui doivent passer beaucoup de temps à fréquenter des individus louches dans ce genre d’environnement.

Si certains membres de l’unité devaient succomber à la tentation et consommer des stupéfiants dans le cadre d’une mission délicate en territoire étranger, l’impact sur les opérations militaires pourrait être grave, prévient le commandement du renseignement.

Les militaires affectés à cette unité doivent demeurer alertes, sobres et concentrés, stipule la note. Ils ont souvent peu de temps pour obtenir beaucoup d’information lorsqu’ils sont déployés sur le terrain.

« Ils sont responsables de faire l’évaluation initiale pour jauger les intentions de la source et identifier les menaces. Ainsi, les opérateurs doivent demeurer constamment vigilants dans leur environnement souvent chaotique tout en surveillant les changements subtils dans le comportement et les manières de la source », explique le texte.

« Ce niveau d’attention est requis même en exécutant simultanément des séries complexes de questions. Si un opérateur manque un détail clé ou comprend mal une information présentée par la source, cela peut affecter significativement le succès d’une opération des Forces armées canadiennes. »

« JTF-X est une unité de mission spéciale avec un tempo opérationnel élevé » et un mandat sensible, poursuit la note.

Risque réel et avéré

Le commandement demande donc que la fonction d’opérateur au sein du JTF-X soit classée comme une position à « haut risque, sensible en matière de sécurité », ce qui permettrait d’imposer à ses membres des tests périodiques et obligatoires de dépistage de drogue.

Les militaires affectés à cette unité ne devraient pas rechigner devant cette nouvelle exigence, vu leur maturité et leur conscience de l’importance de leur mission, avance le document. Les tests augmenteraient aussi la confiance des autres unités militaires envers le JTF-X et rassureraient encore davantage le haut commandement quant à la capacité de celui-ci à « opérer dans des environnements où la menace est élevée ».

« Sans ça, les officiers devront courir le risque réel et avéré qu’un opérateur “compromis” puisse être déployé pour mener des tâches d’une importance politique/stratégique plus élevée que la moyenne », prévient la note.

Pas de dépistage en zone opérationnelle

La demande présentée au chef d’état-major en septembre 2021 est toujours à l’étude et n’a toujours pas été approuvée, selon ce qu’a confirmé la Défense nationale à La Presse.

« À ce jour, la JTF-X n’a pas réalisé de tests de dépistage de drogue à l’intention des militaires occupant des postes à risque élevé en matière de sécurité et aucun dépistage n’a eu lieu dans une zone opérationnelle. Par conséquent, on ne dispose pas à l’heure actuelle de résultats ou d’autres précisions sur les tests de dépistage », explique la porte-parole Andrée-Anne Poulin.

Des tests prédéploiement et des analyses d’urine faits de façon anonyme font toutefois partie d’un programme de sensibilisation et d’intervention des Forces canadiennes pour évaluer la prévalence de l’usage de drogues illicites chez les militaires et soutenir les efforts de sensibilisation et d’intervention, ajoute Mme Poulin.

« Le Commandement du renseignement des Forces canadiennes pratique une politique de tolérance zéro relative à l’usage illicite de drogues », précise-t-elle.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse