(Ottawa ) Le ministre du Développement international, Harjit Sajjan, a sollicité au début de l’année un traitement réservé à une poignée de Canadiens, dont le premier ministre : le droit de ne pas être soumis aux diverses mesures de contrôle de sécurité dans les aéroports canadiens avant de prendre l’avion.

Une exemption partielle lui a finalement été accordée au terme d’une démarche inhabituelle de la part de hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères auprès du ministère des Transports, a appris La Presse de source sûre.

Depuis que les libéraux de Justin Trudeau sont au pouvoir, au moins un autre ministre a tenté d’obtenir une telle exemption, soit l’ancien ministre des Finances Bill Morneau, au motif qu’il transportait avec lui des documents confidentiels du Cabinet lorsqu’il prenait l’avion pour se rendre à Toronto. Mais ce privilège lui a été refusé. Selon nos informations, aucun autre ministre du Cabinet fédéral n’a obtenu ou cherché à obtenir un tel traitement distinct dans les aéroports canadiens.

Dans le cas du ministre Sajjan, la sous-ministre adjointe par intérim à Affaires mondiales Canada, Julie Sunday, a soumis une demande en son nom à la fin de janvier, au moment où les députés devaient mettre le cap sur Ottawa pour la reprise des travaux de la Chambre des communes.

Depuis qu’il est en politique fédérale, M. Sajjan, qui est de confession sikhe, s’est plaint à certains de ses collègues du Cabinet qu’il subissait parfois des fouilles secondaires de son turban après le déclenchement de l’alarme lorsqu’il passait aux postes de contrôle des passagers avant leur entrée dans la zone sécurisée de l’aéroport.

Selon les règlements en vigueur, un nombre limité de Canadiens sont exemptés des mesures de contrôle avant de prendre l’avion : le premier ministre et sa famille immédiate, le gouverneur général et les juges de la Cour suprême du Canada.

M. Sajjan représente la circonscription de Vancouver-Sud, en Colombie-Britannique, à la Chambre des communes, depuis 2015. Il est ainsi appelé à prendre souvent l’avion pour se rendre à Ottawa durant les travaux parlementaires.

Après avoir dirigé le ministère de la Défense pendant six ans, Harjit Sajjan a été muté au ministère du Développement international à la suite des plus récentes élections fédérales. Quand il était ministre de la Défense, M. Sajjan avait en sa possession des documents hautement plus confidentiels que depuis qu’il occupe ses nouvelles fonctions, dans lesquelles il se rapporte par ailleurs à la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly.

Échange de courriels

« Suite à notre conversation, ci-joint une lettre signée par Julie Sunday, la responsable de la sécurité à Affaires mondiales, autorisant M. Sajjan à contourner les contrôles de sécurité dans les aéroports canadiens sur les vols commerciaux canadiens quand il est en possession de documents secrets. J’ai confiance que cela respecte les exigences requises et j’apprécierais que vous informiez l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien », a écrit Bruce Murdock, directeur de la sécurité ministérielle pour Affaires mondiales Canada, dans un courriel envoyé à Pierre Mondor, responsable du programme de conformité et d’inspection au ministère des Transports.

Ce courriel a été envoyé le 26 janvier, cinq jours avant la reprise des travaux parlementaires. Un ministre est presque toujours en possession de documents secrets quand il voyage entre Ottawa et sa résidence.

« Bonjour Bruce. Je confirme la réception de la lettre. Elle sera envoyée à ACSTA [l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien] pour distribution. Si le ministre rencontre quelque difficulté que ce soit, n’hésitez pas à nous en informer », a répondu M. Mondor le 27 janvier.

D’abord, un refus

« Il est évident que le ministre a tenté d’obtenir un traitement préférentiel avec cette demande », a soutenu une source gouvernementale qui a requis l’anonymat parce qu’elle craignait d’être la cible de représailles.

Le ministère des Transports a envoyé cette requête à l’ACSTA. La société d’État a rejeté la demande au motif que le ministre n’était pas admissible à recevoir un tel traitement.

Après ce premier refus, le ministère des Affaires étrangères est revenu à la charge en précisant que le ministre Sajjan devait impérativement obtenir cette exemption lorsqu’il voyage en transportant des documents confidentiels du Cabinet ou un téléphone qu’il utilise dans le cadre de ses fonctions. Une lettre confirmant ce statut lui serait fournie chaque fois qu’il prendrait l’avion.

La requête a fait l’objet d’échange de courriels entre le ministère des Transports, le ministère des Affaires étrangères et l’ACSTA. Finalement, le ministre Sajjan a obtenu une exemption partielle en février. Dans un courriel à La Presse, le bureau du ministre Sajjan a confirmé qu’il avait obtenu une telle exemption. « Le ministre est souvent appelé à voyager avec du matériel et de l’équipement classifiés entre Ottawa et sa résidence en Colombie-Britannique. Afin de s’assurer que le matériel ou l’équipement classifié n’est pas vu par des personnes n’ayant pas l’habilitation de sécurité appropriée, les autorités ont accordé cette exemption à la fouille du matériel sensible à la sécurité, et uniquement pour ce matériel », a indiqué Haley Hodgson, attachée de presse du ministre Sajjan, dans un courriel à La Presse.

Elle a précisé que le ministre n’utilisait pas cette exemption à d’autres fins.

Le ministre et ses effets personnels passent toujours par le contrôle de sécurité, y compris souvent le contrôle secondaire, sur tous les vols intérieurs, comme n’importe quel Canadien.

Haley Hodgson, attachée de presse du ministre Harjit Sajjan

Le ministère des Affaires étrangères a refusé de répondre aux questions de La Presse pour expliquer la démarche entreprise au nom du ministre Sajjan.

« Affaires mondiales Canada ne commente pas sur les questions liées à la sécurité », a indiqué Jason Kung, porte-parole du Ministère, dans un courriel.