(Ottawa) La nouvelle interlocutrice du Canada pour les lieux de sépulture anonymes près des pensionnats fédéraux pour Autochtones s’attend à ce que les poursuites intentées pour les crimes contre les enfants soient la « principale conversation » qu’elle aura avec les survivants et les communautés.

Le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, a annoncé mercredi que Kimberly Murray avait été nommée « interlocutrice spéciale indépendante » dans ce délicat dossier. C’est elle qui assurera la liaison entre le gouvernement fédéral et les communautés autochtones qui tentent de trouver des tombes non marquées, ou qui les ont déjà trouvées.

« Lorsque j’irai dans les communautés et que je rencontrerai des survivants et des dirigeants autochtones, je m’attends à ce qu’on me parle de ces conversations, de la façon dont ils ont eu du mal à déterminer quoi faire, comment intenter des poursuites », a déclaré Mme Murray, ancienne directrice générale de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Le gouvernement libéral avait promis de créer ce poste d’interlocutrice spéciale l’année dernière, après que des radars ont détecté dans le sol ce qui semble être des centaines de tombes non marquées d’enfants morts dans des pensionnats fédéraux en Colombie-Britannique et en Saskatchewan.

Le budget de 2022 avait réservé 10 millions sur deux ans pour financer ce mandat. On annonçait également près de 210 millions sur cinq ans pour aider les communautés dans leurs efforts pour trouver, documenter et préserver les lieux de sépulture, ainsi qu’un nouveau bâtiment pour le Centre national pour la vérité et la réconciliation, qui abrite de nombreux dossiers liés aux pensionnats, à l’Université du Manitoba, à Winnipeg.

Kimberly R. Murray est membre de la première nation mohawk de Kanesatake, au nord de Montréal. Elle travaillera avec les Autochtones pour recommander à Ottawa des moyens de renforcer les lois et pratiques fédérales afin de protéger et de préserver ces lieux de sépulture.

Mme Murray dirigeait jusqu’ici le nouveau Secrétariat des survivants des Six Nations de la rivière Grand, qui doit faire la lumière sur les enfants disparus et les tombes anonymes à l’« Institut Mohawk », un ancien pensionnat près de Brantford, en Ontario.

Le chef Cadmus Delorme, de la première nation Cowessess, expliquait mercredi que les communautés qui découvraient des sites de sépultures présumées étaient hésitantes à recourir à la police.

Cette communauté du sud de la Saskatchewan a annoncé en juin 2021 qu’elle avait utilisé un radar pour localiser ce qui semble être 751 tombes non marquées près de l’ancien pensionnat Marieval. La communauté a annoncé plus tard qu’elle avait mis des noms sur environ 300 de ces tombes.

« Nous ne pouvons pas aller à la Gendarmerie royale du Canada, car qu’allons-nous réellement leur montrer ? », explique le chef Delorme, ajoutant que la loi de la Saskatchewan interdit de perturber des lieux de sépulture.

« Bourbier juridictionnel »

Mme Murray a déclaré mercredi que son rôle serait d’aider les communautés à naviguer dans l’espèce de « gâchis de bourbier juridictionnel conflictuel qui existe actuellement » en ce qui concerne les diverses lois fédérales, provinciales et territoriales qui régissent les tombes anonymes des Autochtones et celles qui se trouvent à proximité des anciens pensionnats.

« Chacun suivra ensuite sa propre voie, dit-elle. Je ne suis pas là pour leur dire quelle est cette voie, simplement pour leur ouvrir des voies. »

L’interlocutrice pourra également guider les communautés et les équipes techniques sur la manière de recueillir des preuves afin que justice puisse être rendue une fois la vérité découverte, a déclaré Kúkpi7 Rosanne Casimir, de la communauté Tk’emlúps te Secwépemc.

Cette communauté de la Colombie-Britannique a annoncé en mai 2021 qu’un radar pénétrant avait détecté dans le sol ce qui pourrait être les restes de quelque 200 enfants sur le terrain de l’ancien pensionnat de Kamloops.

« Il s’agit également de préserver les preuves pour assurer la rigueur de notre enquête – pour garantir que si nous découvrons que des crimes ont été commis, les preuves soient là pour aller de l’avant avec des poursuites au criminel », a déclaré Mme Casimir.

Le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, a expliqué mercredi que ce ne doit pas être au gouvernement fédéral d’enquêter lui-même. Il soutient que la nomination de cette interlocutrice constitue « la prochaine étape du processus de responsabilisation » des acteurs en présence. « Des gens ont été poursuivis dans le passé. Il y a des gens encore libres aujourd’hui qui ont commis des crimes horribles », a déclaré M. Miller.

Encore cette semaine, jusqu’à 196 lieux de sépulture potentiels ont été détectés au Manitoba, dans les communautés autochtones de Pine Creek et de Sagkeeng. Le ministre Miller estime qu’il ne s’agit que de la « pointe visible de l’iceberg ».

Mme Murray, qui a été plus de six ans la toute première sous-procureure générale de la Division de la justice pour les Autochtones en Ontario, a déclaré mercredi que ce n’était pas une décision facile pour elle d’assumer ce rôle.

Elle s’est dite prête à entendre parler des défis auxquels les communautés ont été confrontées dans leurs efforts inlassables pour récupérer, protéger et commémorer les personnes enterrées près d’anciens pensionnats, y compris comment démanteler les lois coloniales.

« Discutons ensemble de la manière dont nous pourrions les démanteler », a-t-elle déclaré aux dirigeants autochtones lors de l’annonce de mercredi.

Mme Murray doit soumettre un rapport provisoire dans un an, puis un rapport définitif dans deux ans.