Une femme du nord de la Saskatchewan veut que le gouvernement fédéral accepte de considérer l’orphelinat où elle a été contrainte de demeurer comme un pensionnat pour Autochtones.

Yvonne Mirasty a été arrachée à sa famille à l’âge de 9 ans pour être placée au Timber Bay Children’s Home. « Quand ma mère est revenue de son travail, nous étions partis », raconte-t-elle.

L’établissement a été en activité à Timber Bay, un hameau du nord de la Saskatchewan, de 1952 à 1994. Il était géré par la Mission évangélique du nord du Canada, puis par une communauté anabaptiste, les Brethren in Christ Church. Il accueillait des élèves qui fréquentaient d’autres écoles. La plupart d’entre eux étaient Autochtones ou Métis.

Pour plusieurs qui sont passés par là, le foyer est l’équivalent d’un pensionnat pour Autochtones. Le gouvernement fédéral refuse de le désigner de cette façon.

Cela signifie que les gens comme Mme Mirasty ne sont pas admissibles à une indemnité en vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens.

« Ce ne sont pas du tout de beaux souvenirs, dit l’enseignante âgée de 60 ans de Pelican Narrows, en Saskatchewan. Je ne me souviens de rien de bon de cet endroit. »

Elle raconte que les enfants étaient traités comme des prisonniers condamnés aux travaux forcés. Ils étaient punis s’ils ne pouvaient pas réciter des passages de la Bible. Plusieurs fois, elle est allée au lit sans avoir mangé. Les bains étaient froids.

Je m’endormais en pleurant. Je ne sais plus si je croyais que mes parents étaient morts. Je chantais tout le temps pour m’endormir.

Yvonne Mirasty

Elle souligne qu’elle a été agressée sexuellement, notamment par un superviseur, au cours des deux années qu’elle est demeurée au foyer pour enfants.

« Il disait : “ embrasse papa ! embrasse papa !" Je l’entends encore aujourd’hui. »

Mme Mirasty dit avoir subi les mêmes horreurs que les enfants autochtones enlevés à leur famille et enfermés dans des pensionnats subventionnés par l’État.

On dit que tous les enfants comptent, mais qu’en est-il de ceux de Timber Bay ? Tout ce que je veux, c’est être reconnue. Je veux entendre le gouvernement dire que nous avons souffert, nous aussi.

Yvonne Mirasty

Les gouvernements fédéral et saskatchewanais ne reconnaissent pas Timber Bay comme un pensionnat, parce qu’il n’entre pas dans la définition inscrite dans la Convention.

Ce n’est pas le seul établissement.

De 2007 à 2019, plus de 9400 personnes ont demandé l’ajout de 1531 établissements à la liste des pensionnats préétablie. Le gouvernement fédéral et les tribunaux en ont reconnu une dizaine, portant le total à environ 140.

Le gouvernement dit continuer à examiner les réclamations venant d’anciens élèves d’écoles ou de foyers qu’il n’administrait pas.

L’établissement de Timber Bay a reçu des subventions gouvernementales du fédéral, mais les tribunaux ont refusé de le décrire comme un pensionnat. La Cour d’appel de la Saskatchewan a expliqué que ces enfants n’y étaient pas placés à des fins éducationnelles et que le gouvernement fédéral n’en avait pas la responsabilité. La Cour suprême a rejeté l’appel.

Dans une déclaration, le cabinet du ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, a dit vouloir travailler avec les victimes et leurs familles pour corriger des torts historiques. Il reconnaît l’existence de réclamations au sujet d’enfants placés dans des établissements non gérés par le gouvernement fédéral.

« Examiner les revendications historiques relativement aux torts commis aux enfants autochtones est une étape cruciale vers le renforcement de nos relations avec les peuples autochtones », dit le cabinet.

Des membres de la famille de Dwight Ballantyne ont aussi été placés à Timber Bay. Il a l’impression de ne pas avoir été entendu par les gouvernements.

« Il y a plusieurs histoires qui doivent être racontées. Cela fait partie de nous-mêmes. En grandissant, j’ai toujours cru qu’il fallait garder le silence et ne pas parler de mon histoire. Plusieurs victimes ont vu leurs histoires être balayées sous le tapis. »

Le détachement de la GRC de la Saskatchewan continue d’enquête sur les circonstances entourant un décès qui serait survenu au foyer de Timber Lake en 1974. L’enquête s’est amorcée l’an dernier. Dans une récente déclaration, il dit ne pas pouvoir donner de plus amples informations à ce sujet. Les policiers ont recueilli des témoignages, suivi des pistes et examiné des dossiers. Ils ont aussi visité l’endroit.

« Quand je pense à ce que nous avons traversé mentalement, physiquement et sexuellement, je me demande comment nous avons survécu, lance Mme Mirasty. Ne nous oubliez pas. »