(Ottawa) L’occupation est maintenant terminée aux abords de la colline du Parlement à Ottawa, après 24 jours. Mais si la police a repris le contrôle dimanche du centre-ville, certains récalcitrants refusent toutefois toujours de partir, obligeant la police à maintenir ses mesures de protection. D’autres groupes sont par ailleurs à se relocaliser, au lendemain de deux journées d’intervention policière visant à libérer les rues de la capitale canadienne.

Vers 9 h, des policiers s’avançaient vers la barricade au coin des rues Sparks et Bank, pour faire face aux quelques manifestants qui demeuraient néanmoins sur place. Selon le dernier bilan du Service de police d’Ottawa (SPO), 191 personnes ont été arrêtées et 79 véhicules ont été remorqués. Les agents municipaux avaient quant à eux remis 3600 constats d’infraction, en date de samedi.

Au total, la police rapporte avoir déposé 389 accusations. Les principaux chefs d’accusation sont des méfaits ou de l’obstruction au travail des patrouilleurs. Plusieurs personnes arrêtées ont été « libérées sous conditions », dont une restriction de déplacements, alors que d’autres ont été libérés sans condition, ont indiqué les forces de l’ordre.

Le chef intérimaire du SPO, Steve Bell, a confirmé en fin d’après-midi dimanche que les points de contrôle demeureront pour l’instant en place. Malgré « le succès des opérations des derniers jours », a-t-il dit, « ce n’est pas l’état normal de notre ville ». « Il faut maintenir les mesures policières pour éviter le retour de manifestants », a-t-il dit, en se disant conscient des impacts significatifs sur la population.

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Le chef intérimaire du SPO, Steve Bell

« Chaque heure, nous nous approchons de notre but », a ajouté M. Bell, en demandant à la population de continuer à respecter la zone de protection. « Je ne peux pas encore dire quand nous aurons ultimement complété cette opération », a-t-il toutefois avoué.

L’Unité des enquêtes spéciales (UES) de l’Ontario a annoncé l’ouverture de deux enquêtes sur deux incidents impliquant un agent de la police de Toronto, et un autre de la police de Vancouver. Dans le premier cas, le policier était à cheval, et il a infligé de « sérieuses blessures » à une dame de 49 ans. Dans le deuxième, les policiers ont déchargé des armes à létalité atténuée, gestes qui n’auraient fait aucun blessé, selon le corps d’enquête indépendant, qui invite toutefois quiconque aurait été atteint à le contacter.

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Des policiers en poste dimanche matin

Dans les rues du secteur verrouillé d’Ottawa, au centre-ville, il ne restait plus qu’une poignée de véhicules abandonnés ici et là, dimanche matin. Sur la rue Kent, où les véhicules étaient cordés sur plusieurs pâtés de maisons, un camion avec une plaque de l’Alberta, une vieille roulotte, quelques camionnettes – comme des vestiges de l’époque où le « convoi de la liberté » occupait la capitale du Canada. La rue Bay avait aussi été libérée en bonne partie.

La police était toutefois encore très visible en milieu d’après-midi, dans le secteur de la rue Elgin, alors que des manifestants refusaient toujours de quitter les lieux. Plusieurs policiers en uniforme anti-émeute ont descendu la rue pour défier les manifestants, qui agitaient des drapeaux du Canada. Certains d’entre eux ont été arrêtés dans les minutes suivantes. « Liberté. Laissez-nous manifester pacifiquement », scandaient-ils.

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Des policiers en uniforme antiémeute dans le secteur de la rue Elgin

À l’est du centre-ville d’Ottawa, dimanche après-midi, plusieurs véhicules motorisés quittaient le stationnement près du stade de baseball de la rue Coventry, où ils étaient installés depuis quelques jours. « Nous allons à un autre endroit », a affirmé Jim Rankin, un manifestant, au volant de sa camionnette.

Il n’a pas voulu confirmer où partaient les protestataires, mais il a laissé entendre que certains pourraient retourner au centre-ville. Une lettre a été distribuée par les autorités aux manifestants en fin d’après-midi, interdisant ceux-ci de monter des habitacles, des tentes, ou encore de demeurer stationnés dans leur véhicule.

Des manifestants se déplacent

D’autres protestataires se sont aussi rassemblés dans un relais routier de Vankleek Hill, situé entre Ottawa et Montréal, ainsi que dans le secteur d’Embrun, une municipalité située au sud d’Ottawa, ou encore devant le Musée canadien de la guerre, à quelque deux kilomètres à l’ouest des principaux édifices parlementaires.

« Ce n’est pas fini. Dès que nous le pourrons, nous allons y retourner ! C’est notre pays, et c’est notre ville. Ils n’appartiennent pas à Justin Trudeau. Il veut être un dictateur. Tout ce qu’il fait est tiré du mode d’emploi d’un dictateur », s’est insurgé Scott, alors que des voitures klaxonnaient, à l’intersection des rues Wellington, qui fermée, et Booth.

Le chef par intérim du SPO, Steve Bell, a laissé entendre que les rassemblements en dehors d’Ottawa seront aussi supervisés. « Il y a un profond engagement de la part de nos partenaires pour continuer à nous soutenir, a-t-il indiqué. La GRC et la Police provinciale de l’Ontario (OPP) seront présentes avec nous jusqu’à la fin de cette opération. »

Sur Twitter, son organisation a prévenu qu’il était « illégal et dangereux de s’arrêter sur une autoroute de la série 400 ». « Veuillez utiliser des itinéraires alternatifs, en gardant à l’esprit les fermetures de rampes en cours ».

Soulagement des résidants et des commerçants

Johnny Bounnapha, employé du restaurant Eggspectation, s’est quant à lui réjoui d’un certain retour à la normale au centre-ville. « Le convoi a été difficile pour les affaires, particulièrement ce week-end », se désole-t-il. Mis à part les résidants du centre-ville, peu de clients de l’extérieur sont venus ces derniers temps.

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Johnny Bounnapha

« C’est fantastique. Ça a été un vrai cauchemar. J’ai été déprimé pendant deux trois semaines », réagit Frank Kobe, un résidant du secteur, en grattant un billet de loterie dans un dépanneur du centre-ville. Le gérant du dépanneur en question, Sajid Ali, dit se sentir « calme » en ce dimanche matin. Il perd des clients, mais ceux-ci n’étaient pas très respectueux. « Ils ont détruit deux fois mes plexiglas et me harcelaient pour que je retire mon masque », raconte-t-il.

Sur la rue Gloucester, Gabbie promenait Gatsby, le chien de sa sœur, qui habite le centre-ville. Elle est venue d’Oshawa car sa sœur n’arrivait plus à s’approvisionner en nourriture pour animaux. « Je suis allée marcher avec Gatsby [samedi] soir, et un manifestant m’a dit que les seuls nazis sont les personnes qui portent encore un masque, relate-t-elle. Je respecte le fait qu’ils manifestent, tout le monde a le droit de manifester, mais leur comportement était déplorable. »

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Rue Bank, où il y avait encore foule samedi soir, deux manifestants rebroussaient chemin, café à la main. « C’était encore plein hier », a lâché l’un d’eux, l’air hébété. Ils ne pouvaient plus accéder à cette portion de la rue, où les policiers ont installé des barrières pour s’assurer de ne pas perdre le terrain gagné.

Deux manifestantes croisées par La Presse ont quant à elles déploré « l’usage de la force » des autorités contre elles. « Je ne suis pas triste, je sais que le monde regarde. Et je pense que les jours de Justin Trudeau sont comptés. Il a choisi d’utiliser la force contre nous, au lieu de nous parler », a déploré Chermaine Ironside, venue de Calgary pour soutenir le mouvement.

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Chermaine Ironside et Jen Mifsud.

« Je serais prête à revenir. Nous ne pouvons pas être intimidés par notre propre gouvernement. Si nous n’utilisons pas notre droit pacifique de manifester, nous allons perdre cette bataille. La seule voix que nous avons est de continuer à apparaître en nombre », a aussi soutenu son amie, Jen Mifsud, à ses côtés.

Contraste saisissant

Devant le parlement, le calme plat régnait en début de journée, des images contrastant fortement avec celles des derniers jours. Plusieurs accès étaient toutefois encore bloqués, alors que des policiers et des travailleurs s’affairaient à retirer des barricades. Au coin des rues Wellington et Metcalfe, une banderole de drapeaux canadiens flottait au vent.

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Les forces policières avaient en effet significativement gagné du terrain la veille, multipliant les arrestations et les remorquages. Alors qu’ils avaient progressé d’à peine deux pâtés de maisons, vendredi, les policiers sont parvenus à dégager la rue Wellington jusqu’à la rue Bank, samedi.

C’est donc dire que cette artère, qui fait face aux édifices du Parlement et qui était bondée de camions et de gens qui faisaient la fête devant une scène, sur fond de musique et de discours, est libre. La quasi-totalité des camions qui y étaient jusqu’à tout récemment a été remorquée.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE TWITTER DE LA POLICE D’OTTAWA

Les parlementaires sont ainsi moins entravés – exception faite des multiples points de contrôle autour de la zone sécurisée – pour continuer le débat autour de la Loi sur les mesures d’urgence.

« C’est un soulagement. Je marchais ce matin vers la colline parlementaire, et c’était la première fois que c’était si calme depuis trois semaines. Je suis surtout soulagée pour les commerçants et les résidants du centre-ville qui avaient vu leur quotidien chamboulé », expose la députée bloquiste Kristina Michaud.

Elle salue l’intervention policière « graduelle » qui, même si elle n’est pas tout à fait terminée, a permis d’en arriver là. « Avoir commencé méthodiquement, invité les manifestants à partir et leur avoir laissé le temps de partir avant d’y aller de manière plus ferme, je pense que c’était une bonne chose », dit-elle.

Tyson George Billings arrêté

Les policiers ont par ailleurs annoncé l’arrestation de Tyson George Billings, un manifestant de 44 ans originaire de High Prairie, en Alberta.

L’homme qui était à Ottawa depuis la fin janvier a été accusé de méfait, en plus d’avoir conseillé autrui de commettre un méfait ou de désobéir à une ordonnance du tribunal. Des chefs d’obstruction au travail des policiers ont aussi été déposés contre lui. Il doit comparaître dimanche. Toute autre personne bloquant des rues « pourrait être arrêtée », a martelé le SPO.

Vendons des véhicules saisis, propose Watson

Le maire de la Ville d’Ottawa, Jim Watson, croit qu’une partie de la facture de l’intervention policière majeure qui a été déclenchée vendredi passé pourrait être défrayée par la vente de camions et autres véhicules saisis au cours du week-end. « J’ai demandé à notre directeur municipal comment nous pourrions prendre possession de tous ces camions qui ont été remorqués », a-t-il déclaré dans une entrevue accordée à la station locale de CTV News à Ottawa. « Je ne pense pas que les contribuables d’Ottawa devraient payer cette facture de plusieurs millions de dollars avec laquelle nous serons pris en raison de l’irresponsabilité et des activités illégales d’une bande de camionneurs et d’autres qui ont montré peu de considération pour notre communauté et ses habitants », a argué le premier magistrat, qui a essuyé de nombreuses critiques pour la gestion de cette crise. Le maire Watson, qui ne sollicite pas de nouveau mandat à la tête de la capitale nationale, est d’avis que la Loi sur les mesures d’urgence pourrait lui donner le pouvoir d’aller au bout de son idée.

Mélanie Marquis, La Presse