(Ottawa) Le Canada se prépare à acquérir des drones armés pour ses forces militaires, alors que les détails sur la façon dont les armes controversées seront utilisées commencent à se dessiner, après près de deux décennies de retards et de discussions.

Dans une entrevue exclusive avec La Presse Canadienne, le commandant de l’Aviation royale canadienne, le lieutenant-général Al Meinzinger, a déclaré qu’un appel d’offres formel entre les deux fabricants de drones présélectionnés pour le concours, d’une valeur maximale de 5 milliards de dollars, devra débuter à l’automne.

Le lieutenant-général Meinzinger dit aussi que les préparatifs sont en cours afin que les militaires soient prêts à utiliser les avions lorsque ceux-ci commenceront à arriver, dans les trois à quatre prochaines années.

« Nous n’avons pas déterminé les emplacements des bases, mais il y aura certainement un centre de contrôle terrestre à Ottawa », a déclaré le lieutenant-général Meinzinger.

« Et nous aurons des centres de maintenance à l’est et à l’ouest où nous localiserons des véhicules, des véhicules aériens et des équipes de lancement et de récupération. Nous aurons aussi une base nordique, qui sera utilisée quand il sera nécessaire de le faire. »

L’ensemble du personnel assigné aux drones comprendra environ 300 militaires, a-t-il ajouté, avec des techniciens, des pilotes et d’autres membres de l’armée de l’air et d’autres secteurs de l’armée. La composition exacte de cette force, et même le nombre de drones achetés, restent à déterminer.

Malgré les questions en suspens, le fait que l’armée ait atteint ce niveau de détails représente une avancée majeure après près de 20 ans de travail pour identifier et acheter une flotte de drones pour assurer la surveillance du vaste territoire canadien et soutenir les missions à l’étranger.

Hormis l’achat d’un petit nombre de drones temporaires non armés pour la guerre en Afghanistan — qui ont tous été mis hors service depuis — l’armée n’a jamais été en mesure de faire beaucoup de progrès vers l’obtention d’une flotte permanente.

Malgré cela, les drones ont pris un rôle de plus en plus important dans les armées du monde entier ; un rapport publié dans le Journal de l’Aviation royale canadienne à la fin de l’année 2015 indiquait que 76 armées étrangères en utilisaient et 50 autres en développaient.

L’une des raisons principales est qu’aucun gouvernement fédéral n’a autorisé l’ajout de drones — armés ou non — comme élément permanent au sein des Forces canadiennes, comme le sont les escadrons d’avions de chasse ou les hélicoptères, jusqu’à ce que le gouvernement libéral les inscrive dans sa politique de défense de 2017.

Le gouvernement et l’armée affirment que les avions sans pilotes seront utilisés pour la surveillance et la collecte de renseignements, ainsi que pour effectuer des frappes aériennes précises sur les forces ennemies dans des endroits où le recours à la force a été approuvé.

Pourtant, certains ont critiqué la décision d’acheter des drones armés en raison des inquiétudes quant à leur utilisation potentielle au Canada, et parce que de nombreux rapports font état de frappes aériennes par d’autres pays, en particulier les États-Unis et la Russie, causant des dommages involontaires et des victimes civiles.

Le gouvernement a également peu parlé des scénarios dans lesquels la force pourrait être utilisée, y compris la question de savoir si les drones pourraient être utilisés pour des assassinats. Les responsables ont suggéré qu’ils seraient utilisés de la même manière que les armes conventionnelles comme les avions de combat et l’artillerie.

« À ce jour, il n’y a pas beaucoup d’informations sur la façon dont le Canada envisage d’utiliser des drones armés au-delà des plans abstraits et des assurances de la direction quant à leur utilisation responsable », a déclaré Branka Marijan, chercheuse principale du groupe de contrôle des armements Project Ploughshares.

« Ce n’est pas suffisant. Il est nécessaire de clarifier quand, où, comment et dans quels buts les drones armés seraient utilisés. »

La décision du gouvernement libéral d’aller de l’avant en achetant des drones capables d’attaquer depuis le ciel a été prise sans aucun débat politique, ce qui, selon Mme Marijan, contraste avec des alliés comme l’Allemagne.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a indiqué mercredi qu’il s’opposait à l’achat de drones armés, affirmant qu’ils entraient en contradiction avec la conviction de son parti selon laquelle le rôle principal de l’armée devrait être l’aide d’urgence à l’intérieur des frontières et le maintien de la paix à l’étranger.

« Donc, à première vue, je ne pense pas que cela correspond à ce que je ferais », a-t-il déclaré. « Et ce n’est pas conforme à la vision que j’ai pour un Canada qui apporte […] la paix et bâtit un monde plus sûr. »