Le Québec adopte une façon de faire qui contraste avec celle du gouvernement fédéral dans la recherche d’hébergement pour les demandeurs d’asile qui arrivent par le chemin Roxham à Saint-Bernard-de-Lacolle. Alors qu’Ottawa octroie des contrats sans appel d’offres à un prix secret, le réseau de la santé québécois lance un appel d’offres public qui permettra de connaître l’identité de chaque fournisseur potentiel et le montant offert par chacun.

La Presse a révélé lundi que le gouvernement fédéral a loué pour 10 ans, sans appel d’offres et à un prix gardé secret, les terrains d’un important contributeur du Parti libéral du Canada, afin d’héberger les migrants qui traversent la frontière de manière irrégulière par le chemin Roxham.

Malgré nos questions répétées depuis un mois, Services publics et Approvisionnements Canada refuse de divulguer la valeur du contrat signé avec l’homme d’affaires Pierre Guay, propriétaire de boutiques hors-taxes qui a versé avec son fils plus de 25 000 $ au Parti libéral du Canada depuis 2004. « Nous ne pouvons divulguer le montant des baux, car il s’agit de renseignements commerciaux confidentiels provenant de tierces parties, soit le bailleur », affirme l’organisme fédéral.

Pourtant, les tribunaux ont décrété plus d’une fois par le passé que les détails des baux signés par le gouvernement fédéral pouvaient être rendus publics.

Critiqués de toute part par le Parti conservateur, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique, en chambre, les ministres du gouvernement Trudeau ont répété à plusieurs reprises que le prix est raisonnable, sans le dévoiler.

Un refus qui ne tient pas la route, selon un expert

Le Québec aussi doit trouver des bâtiments pour héberger les demandeurs d’asile transférés à Montréal dans l’attente du traitement de leur dossier, après le filtrage initial. Mais il procède différemment. Ces migrants sont pris en charge par le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA), qui relève du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Mardi, le CIUSSS a lancé un appel d’offres public afin de trouver 7552 mètres carrés d’espace d’hébergement et de soutien à la clientèle, proche d’une station de métro, à Montréal.

Tous les prix soumis par les fournisseurs potentiels seront rendus publics, comme le veut la norme, et le montant du contrat conclu avec le soumissionnaire gagnant sera aussi public, a confirmé le CIUSSS à La Presse.

MMichel W. Drapeau, avocat spécialisé en accès à l’information qui a déjà servi comme secrétaire général du ministère de la Défense nationale, croit que les motifs évoqués par Ottawa pour garder la dépense secrète ne tiennent pas la route.

« On fait exprès pour mélanger le tabac avec le yaourt, s’exclame-t-il. C’est seulement ce que le propriétaire a soumis comme offre qui est une information commerciale d’un tiers. Aussitôt que le gouvernement signe un bail avec le montant et tout, ce n’est plus une information d’un tiers ! »

« Au Québec, on appelle ça graisser la patte »

Pour la deuxième journée de suite, les partis de l’opposition ont tapé sur le clou à la Chambre des communes.

« Le renouvellement du bail fédéral au chemin Roxham est un nouvel échec libéral en matière d’éthique. Le simple fait que le renouvellement ait été conclu secrètement, sans appel d’offres, et qu’il ait été attribué, sûrement par hasard, à un contributeur libéral, le confirme », a lancé le député bloquiste René Villemure.

« Est-ce que quelqu’un de l’autre côté peut se lever et admettre que c’était un retour d’ascenseur pour avoir donné au Parti libéral ? », a renchéri le député conservateur John Brassard.

« Au Québec, on appelle ça graisser la patte », a ajouté l’élu, qui est né à Montréal mais représente la circonscription de Barrie, en Ontario.

La ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Filomena Tassi, a répété plusieurs fois la même réponse. Elle a souligné que l’emplacement du site choisi à Saint-Bernard-de-Lacolle était idéal pour l’Agence des services frontaliers et que des négociations avaient permis de trouver un prix raisonnable et compétitif. « Et c’est le prix que nous avons eu », a-t-elle martelé.

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Nombre de demandeurs d’asile qui sont arrivés à Saint-Bernard-de-Lacolle entre la réouverture du chemin Roxham, le 21 novembre, et le 6 décembre dernier