(Ottawa) Le gouvernement Trudeau a accordé l’équivalent de 221 millions de dollars en contrats pour l’obtention d’équipements de protection individuelle à une filiale d’une entreprise de la Malaisie qui est mise au banc des accusés par les États-Unis et la Grande-Bretagne parce qu’elle est soupçonnée d’avoir recours au travail forcé.

Les soupçons sont tels que la U. S. Customs and Border Protection a émis, le mois dernier, un mandat de saisie des gants jetables fabriqués par Supermax Corp. et ses filiales à tous les points d’entrée aux États-Unis. En Grande-Bretagne, un comité parlementaire a récemment lancé une enquête, à l’instigation des députés travaillistes, dans la foulée de l’annonce de la décision des autorités américaines.

Le travail forcé est considéré comme une forme moderne d’esclavage par l’Organisation internationale du travail (OIT), une agence spécialisée de l’ONU.

Les États-Unis ont décidé d’agir après que des informations soulevant des doutes raisonnables quant à l’utilisation de travail forcé par l’entreprise et ses filiales eurent été portées à l’attention de l’administration de Joe Biden. Washington s’est appuyé sur une dizaine d’indicateurs de l’OIT pour prendre cette décision.

Les restrictions à la liberté de mouvement des travailleurs, la confiscation des salaires ou des documents d’identité, les violences physiques ou sexuelles, les menaces ou l’intimidation, entre autres, font partie de la liste des indicateurs de l’OIT.

« Avec ce mandat, l’administration Biden-Harris continue d’indiquer clairement que les produits fabriqués en tout ou en partie par le travail forcé ne seront pas autorisés aux États-Unis », a déclaré le secrétaire à la Sécurité intérieure, Alejandro N. Mayorkas, dans un communiqué le 20 octobre.

Les contrats canadiens

Dans le cas des contrats canadiens, ceux-ci ont été accordés par le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement au plus fort de la pandémie de COVID-19, au moment où le Canada livrait une vive concurrence à de nombreux pays afin d’obtenir une gamme d’équipements de protection individuelle pour les dizaines de milliers de travailleurs de la santé à pied d’œuvre dans les hôpitaux.

Au 31 mars 2021, le Ministère avait accordé l’équivalent de 221 millions de dollars en contrats à Supermax Healthcare Canada Ltd., une filiale de Supermax Corp., pour des gants jetables, selon le site web du Ministère. En tout, le gouvernement canadien avait dépensé 513 millions au 31 mars afin d’obtenir des gants jetables.

Dans une déclaration transmise à La Presse, mardi soir, le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a indiqué que le Canada est au courant des mesures prises récemment par le gouvernement américain contre Supermax Corp. Le Ministère a précisé que des allégations similaires contre des fabricants de gants malaisiens avaient été portées à son attention au début de janvier 2021 et qu’il avait alors demandé à six fournisseurs s’approvisionnant en gants de la Malaisie, dont Supermax Healthcare Canada, de fournir des informations démontrant qu’ils s’acquittent de leurs responsabilités en matière de travail et de droits de la personne.

Le Ministère a décidé de maintenir les deux contrats conclus avec Supermax Healthcare Canada après avoir reçu des explications sur ses pratiques, ses politiques, ses stratégies d’audit et d’enquête ainsi que sa conformité aux normes internationales.

Mais il a décidé de mettre sur pause les nouvelles livraisons à la suite de la décision des autorités américaines.

Supermax Healthcare Canada a confirmé qu’en octobre 2021, étant donné les allégations publiques concernant des pratiques de travail forcé, Supermax Corp. a engagé une firme indépendante pour effectuer un audit complet de ses opérations conformément aux indicateurs de travail forcé de l’Organisation internationale du travail.

Extrait de la déclaration transmise à La Presse mardi soir

« Le rapport de cet audit est attendu à la mi-novembre 2021 et, une fois que le Canada l’aura examiné, il déterminera les prochaines étapes. Entre-temps, les autres livraisons de Supermax Healthcare Canada dues au gouvernement du Canada sont retenues », a-t-on poursuivi.

Services publics et Approvisionnement était dirigé jusqu’à tout récemment par la ministre Anita Anand, qui a depuis obtenu une promotion après s’être illustrée dans les efforts du Canada pour mettre la main sur une quantité suffisante de doses de vaccins pour immuniser toute la population canadienne d’âge admissible. Mme Anand a été mutée à la tête du ministère de la Défense il y a deux semaines. Filomena Tassi lui a succédé à la barre de ce ministère.

12 % de la production mondiale

Supermax Corp. est le deuxième fabricant de gants jetables au monde. À l’heure actuelle, l’entreprise exporte vers plus de 160 pays, notamment dans les régions d’Amérique, d’Europe, du Moyen-Orient, d’Asie et du Pacifique Sud.

« En tant que fabricant de ses propres produits, Supermax a développé une gamme de marques à succès telles que Supermax, Aurelia et Maxter, qui sont fiables et reconnues par les laboratoires, les hôpitaux, les pharmaciens, les médecins et les chirurgiens du monde entier. Le groupe Supermax produit jusqu’à 24 milliards de gants à la pièce par an, répondant ainsi à environ 12 % de la demande mondiale de gants d’examen en latex », peut-on lire sur le site internet de l’entreprise.

Le Canada s’est doté d’une politique prohibant l’importation de marchandises produites par le travail forcé.

Cette politique a même été incorporée dans la loi visant à mettre en œuvre l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), le nouvel accord de libre-échange négocié par les trois pays lorsque l’administration de Donald Trump était au pouvoir à Washington.

Cette loi a reçu la sanction royale le 12 mars 2020.

Le Canada a aussi endossé, au Sommet du G7 tenu en juin dernier au Royaume-Uni, une déclaration dénonçant le recours au travail forcé, notamment dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, et a pris l’engagement, avec ses alliés, d’intensifier les efforts pour « éradiquer le recours à toutes les formes de travail forcé ».

Durant la dernière campagne électorale, les libéraux de Justin Trudeau ont aussi promis d’adopter une série de lois afin d’éliminer le travail forcé des chaînes d’approvisionnement canadiennes et de « faire en sorte que les entreprises canadiennes qui mènent des activités à l’étranger ne contribuent pas à des violations des droits de la personne ».