(Winnipeg) Une poignée d’enquêtes criminelles sont actuellement menées sur les pensionnats pour enfants autochtones au Canada, dont une qui a été entreprise, il y a… une décennie.

La Presse Canadienne a contacté la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et d’autres corps policiers dans tout le pays au cours des dernières semaines.

La Police provinciale de l’Ontario a annoncé qu’elle aiderait le service de police des Six Nations qui examine les allégations d’agression et de décès au Mohawk Institute dans la région de Brantford.

PHOTO SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE SAINT-BONIFACE VIA PC

Le pensionnat de Fort Alexander, au Manitoba

Le détachement de la GRC de la Saskatchewan enquête sur les circonstances entourant un décès survenu possiblement en 1974 au foyer pour enfants de Timber Bay. L’établissement n’était pas considéré comme un pensionnat, mais il était surtout fréquenté par des enfants issus des Premières Nations ou métis.

Le détachement du Yukon dit avoir récemment reçu deux plaintes au sujet des pensionnats : l’une concerne des tombes potentiellement anonymes et l’autre au sujet d’une personne disparue.

Celui du Manitoba dit avoir reçu une plainte concernant le pensionnat de Fort Alexander, au nord-est de Winnipeg, en 2010. Une enquête criminelle a été amorcée l’année suivante. Jusqu’à présent, aucune accusation n’a été portée dans ce dossier.

Les autres détachements de la GRC et la Sûreté du Québec indiquent n’avoir aucune enquête ouverte en cours au sujet des pensionnats pour enfants autochtones.

Le détachement des Territoires-du-Nord-Ouest refuse même de dire s’il y a une enquête en cours à l’heure actuelle.

« De manière générale, la GRC ne divulgue pas s’il y a une enquête en cours, indique une porte-parole, Marie York-Condon. Cela dit, si quelqu’un avait des informations concernant de présumées agressions liées aux pensionnats dans les Territoires-du-Nord-Ouest, la GRC encouragerait quelqu’un à se manifester et à signaler ses préoccupations. »

Des milliers de tombes anonymes ont été découvertes ces derniers mois à l’aide d’un radar à pénétration de sol sur les lieux de nombreux anciens pensionnats. Ces découvertes ont poussé de nombreux groupes autochtones à réclamer des enquêtes criminelles sur tous les pensionnats.

David Milward, un professeur de droit à l’Université de Victoria et membre de la Première nation Beardy’s et Okemasis en Saskatchewan, reconnaît qu’elles seront difficiles, mais seront nécessaires dans le processus de réconciliation.

« Il est utile de le rappeler : ce qui s’est passé dans les pensionnats, c’était un crime », dit-il.

Des députés néo-démocrates ont demandé au ministre fédéral de la Justice David Lametti de poursuivre toute personne impliquée dans des agressions, mais il n’a pas le pouvoir d’ouvrir des enquêtes criminelles.

« Pour vraiment lancer le processus pénal, il faut une enquête policière », rappelle le Pr Milward.

Enquêtes passées

Environ 150 000 enfants des Premières Nations, inuits et métis ont été contraints de fréquenter les pensionnats.

Des victimes ont raconté à la Commission de vérité et réconciliation les agressions qu’elles avaient subies dans ces établissements. Près de 38 000 réclamations pour violences sexuelles et physiques graves ont été soumises dans le cadre du processus d’évaluation indépendant de la convention de règlement relative aux pensionnats.

Au fil des décennies, il y a eu d’importantes enquêtes policières. Un rapport de la GRC signale que de 1957 à 2005, il y a eu 60 enquêtes. Près de 620 victimes ont témoigné devant les tribunaux, permettant d’identifier 44 agresseurs.

Le détachement de la GRC des Territoires-du-Nord-Ouest a mené une enquête sur des agressions commises écoles de Grollier Hall et d’Inuvik de 1996 à 2008. Cette enquête, la plus importante menée par le corps policier dans la région, a mené à plus de 80 accusations.

Dans les années 1990, le Groupe de travail sur les pensionnats indiens dirigé par la GRC, en Colombie-Britannique, a conduit à 14 accusations.

Selon des experts, de nombreuses raisons peuvent expliquer la lenteur de ces enquêtes. Les gens peuvent être réticents à se manifester et il est difficile de retrouver des témoins et des documents historiques. Dans certains cas, les personnes impliquées ou inculpées sont décédées ou ont quitté le pays.

« Le problème avec ces enquêtes et le processus judiciaire, c’est qu’ils ne reflètent pas vraiment très bien la pratique systémique », affirme Kjell Anderson, un professeur de droit à l’Université du Manitoba.

Le Pr Anderson dit que des pensionnats étaient le théâtre d’un éventail de violations des droits de la personne et de crimes potentiels, allant des agressions physiques et sexuelles à la famine, des soins de santé inadéquats ou des conditions de logement dangereuses.

« Il est important d’essayer d’examiner chaque aspect si vous le pouvez, souligne-t-il. Il faut toutefois comprendre que la justice pénale est limitée par sa nature à pouvoir illustrer toute la gamme de ce qui s’est passé dans les pensionnats. »