(Ottawa) Un rapport indépendant sur le harcèlement des femmes au sein de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) conclut qu’un changement fondamental est nécessaire pour débarrasser la police fédérale d’une « culture toxique » qui tolère les attitudes misogynes et homophobes.

Le rapport, publié jeudi par l’ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache, conclut qu’il est grand temps que le gouvernement fédéral « prenne des mesures importantes et radicales » pour s’attaquer à ces problèmes, qui ont causé « des dommages incalculables aux femmes membres de la GRC ainsi qu’à celles qui travaillent pour la fonction publique ».

Le rapport, intitulé « Rêves brisés - Vies brisées », conclut que le changement ne peut venir de l’intérieur de la GRC, « mais doit plutôt être amorcé par des sources externes ».

« Comme l’honorable Marie Deschamps l’écrivait en 2015 à propos des Forces canadiennes : “Il ne suffit pas de revoir les politiques ou de répéter le mantra de la ‘tolérance zéro’. Les dirigeants doivent reconnaître que l’inconduite sexuelle est un problème grave et bien réel pour l’organisation, un problème qui requiert leur attention personnelle, directe et soutenue”. »

« Les employés semblent blâmer les “brebis galeuses” sans reconnaître les origines systémiques et internes de cette conduite », lit-on dans le rapport. « Cette approche permet à l’organisation de poursuivre ses activités, car elle a l’impression qu’il suffit de trouver ces brebis galeuses pour résoudre le problème. »

Lors d’une conférence de presse, jeudi, la commissaire de la GRC, Brenda Lucki, a exprimé sa tristesse et son indignation face aux conclusions du rapport. « Il n’y a absolument aucune place à la GRC pour l’agression sexuelle, le harcèlement, la discrimination, l’intimidation, le sexisme, le racisme, l’homophobie ou la transphobie », a-t-elle dit.

Mais Mme Lucki, qui a déjà reconnu avoir été personnellement victime de harcèlement, n’a pas voulu accepter d’emblée la recommandation de M. Bastarache pour une refonte menée de l’extérieur et non à l’interne. Elle a décrit les nombreuses initiatives déjà entreprises à la GRC, y compris un nouveau système plus indépendant de traitement des plaintes de harcèlement.

« Je ne peux pas réparer le passé, mais je peux certainement créer un avenir différent », a déclaré Mme Lucki. « Je suis confiante dans notre plan, dans la voie que nous avons choisie. »

M. Bastarache était l’évaluateur indépendant qui a supervisé l’octroi de millions de dollars d’indemnisations à 2304 femmes impliquées dans le règlement d’une action collective. Il reconnaît que son équipe d’évaluateurs n’a rencontré que des personnes ayant été victimes de formes graves de harcèlement sexuel et de discrimination en raison de leur sexe ou de leur orientation sexuelle. Mais le juge à la retraite estime que « ces récits étaient cohérents d’une décennie à l’autre ».

« L’image de l’icône canadienne est ternie »

« Le niveau de violence et d’agression sexuelle signalé était choquant », écrit-il dans le rapport. « En effet, plus de 130 réclamantes ont fait état d’agressions sexuelles avec pénétration. D’autres réclamantes ont décrit le milieu de travail de la GRC comme un environnement sexualisé.

« Celui-ci se caractérisait par de fréquents jurons et expressions très dégradantes faisant référence au corps des femmes, par des blagues sexuelles, des insinuations, des commentaires discriminatoires à l’égard des capacités des femmes et par des attouchements sexuels non désirés. » Par ailleurs, dans le contexte d’un corps policier, « le refus ou la menace de refus d’envoyer du renfort est particulièrement préoccupant », lit-on dans le rapport.

Quant aux femmes qui se sont identifiées comme LGBTQ2S+, elles « ont également été victimes d’ostracisme, de commentaires péjoratifs, d’agressions sexuelles et de révélation de leur orientation sans leur consentement », ajoute le rapport.

« Ce que les femmes ont dit aux évaluateurs les a profondément choqués. Ce processus a terni à jamais l’image de la GRC en tant qu’icône canadienne. Des femmes brillantes, instruites ont dit qu’elles avaient rejoint la GRC dans le but d’aider les autres, parfois parce qu’elles avaient elles-mêmes eu besoin d’aide lorsqu’elles étaient jeunes. Elles ont fait part aux évaluateurs du traitement brutal qu’elles ont subi, qui les a terrassées, a brisé leur confiance et a détruit celle qu’elles avaient en leurs collègues. »

Suicide et dépression

De nombreuses femmes interrogées par les évaluateurs « avaient reçu un diagnostic de blessures psychologiques graves, notamment un trouble dépressif grave, un trouble de stress post-traumatique, un trouble d’anxiété généralisée ; certaines souffraient de crises de panique et de dépendance à une substance. »

Les femmes interrogées ont également fait état d’un manque de confiance à l’égard de la GRC, mais aussi à l’égard des hommes en général, « d’un sentiment d’isolement, d’un retrait des activités sociales, des amitiés et des relations sexuelles, d’un sentiment d’humiliation, d’un manque d’estime de soi et d’un manque de confiance en elles-mêmes ».

« Certaines ont déclaré s’être blessées intentionnellement à plusieurs reprises. La culpabilité est fréquente, même après des agressions sexuelles flagrantes. Nous avons entendu des récits de femmes assises avec leur revolver réglementaire dans la bouche, qui ne se sont pas suicidées uniquement parce qu’elles ont pensé à leurs enfants ou à leurs animaux domestiques. »

Le rapport formule 52 recommandations sur les obstacles systémiques, le recrutement, la formation, les ressources humaines et la dotation en personnel, les congés de maternité et parentaux, la flexibilité de l’emploi, les griefs et la discipline, la santé mentale, les promotions, le leadership, les équipes spécialisées et les abus lors des examens médicaux.

« Ce sont des mesures concrètes qui peuvent être mises en œuvre par la GRC immédiatement pour répondre à certaines des préoccupations soulevées », indique le rapport. Ces mesures « ne remplacent pas l’examen externe indépendant que je recommande d’entreprendre, mais peuvent être mises en œuvre comme solution provisoire ».