La récente controverse autour de l’organisme WE Charity ouvre la porte à un examen de l’aide réelle que lui et autres groupes semblables apportent aux collectivités africaines.

Un ancien directeur du programme Afrique d’Amnistie Internationale, Firoze Manji, déplore que ces groupes ne soient pas responsables devant les personnes qu’ils prétendent servir.

« Ils sont responsables devant des conseils d’administration autodésignés », dit celui qui enseigne à l’Institut d’études africaines de l’Université Carleton, à Ottawa. « La mythologie est qu’ils vont combattre la pauvreté. Le problème avec cette proposition, même si cela semble très bien, c’est qu’ils ne traitent pas des causes de l’appauvrissement. »

Le 9 septembre, WE Charity (Mouvement UNIS en français) a annoncé qu’il mettait fin à ses activités canadiennes. Les programmes de l’organisation dans des pays comme le Kenya ou la Tanzanie seront maintenus « aussi longtemps que possible », a déclaré l’organisme.

L’étendue et l’impact précis de ces programmes à l’étranger ne sont pas faciles à discerner. Il ressort clairement des états financiers publiés par l’organisation et des déclarations fiscales que les programmes canadiens sont de loin les plus importants de l’organisme. En 2019, UNIS a enregistré des revenus totaux de 65,9 millions et des dépenses d’un peu moins de 68,2 millions.

Certaines années, sa filiale américaine a envoyé plus d’argent au Canada qu’en Asie, en Afrique ou en Amérique latine.

Au cours de l’exercice 2019, par exemple, les déclarations fiscales américaines montrent que WE Charity USA a dépensé 7,6 millions US pour ses programmes nationaux et 18,8 millions US en « subventions et autres aides à des organisations étrangères », dont 10,8 millions à la maison-mère.

L’année précédente, WE Charity U.S. avait dépensé 5,8 millions américains en programmes nationaux et 6 millions supplémentaires au Canada. Cette année-là, 8,5 millions ont été investis en Asie, en Afrique et en Amérique latine.

L’organisme explique que l’argent avait été envoyé à la maison-mère pour la rembourser du travail effectué dans le cadre de programmes exécutés aux États-Unis.

En dehors de l’Amérique du Nord, le Kenya aurait été le plus gros bénéficiaire de la générosité de WE Charity U.S.

Si aucun représentant de la filiale américaine n’était disponible pour une entrevue, elle a inclus dans sa réponse par courriel une citation attribuée au gouverneur du comté de Narok au Kenya. « Je peux affirmer avec confiance qu’aucune ONG n’a fait plus pour le Kenya que WE Charity », aurait déclaré Samuel K. Tunai.

D’autres Kenyans ne partagent pas cette opinion.

Karuti Kanyinga, le directeur de l’Institute for Development Studies de l’Université de Nairobi, dit ne pas connaître UNIS ou même Enfant Entrainde, l’ancien nom de l’organisme.

Il reconnaît qu’il est difficile de suivre ce que fait l’une des 10 000 ONG en activité dans le pays « sauf si elle est impliquée dans un immense travail de représentation ou si elle est l’une des plus importantes ayant beaucoup de ressources pour favoriser un changement à l’échelle nationale ».

WE Charity n’apparaît pas sur la liste des 50 ONG dépensant le plus au Kenya, selon le rapport annuel 2018-2019 du Conseil de coordination des organisations non gouvernementales du Kenya. Tous les organismes en activité au Kenya doivent soumettre des rapports au conseil.

WE Charity explique que l’argent de son programme international « est attribué de plusieurs façons, souvent directement du Canada, de sorte que les dépenses peuvent ne pas apparaître comme provenant de l’organisme de bienfaisance au Kenya lui-même. » L’organisme dit avoir acheté des fournitures médicales au Canada et aux États-Unis pour les envoyer au Kenya.

Les déclarations fiscales américaines pour 2019 ne montrent pas l’achat de fournitures médicales, tandis que les déclarations pour 2018, 2017 et 2016 indiquent des achats de fournitures médicales uniquement pour Haïti. Ce genre de documents n’est pas accessible au Canada.

D’autres Kenyans soulignent que WE Charity — et son antenne lucrative Me to We — sont mieux connus pour amener des célébrités nord-américaines et européennes dans le pays que pour leur travail de développement.

Grace Kerongo, rédactrice en chef de The Star, un journal de Nairobi, dit n’avoir entendu parler de WE Charity qu’à cause des célébrités qu’il amène au Kenya.

« L’impact des activités caritatives n’est pas ressenti ou connu, à part ce qui se trouve sur leur site web », souligne-t-elle.

Le volontourisme

La question du « volontourisme » — la pratique consistant à faire du bénévolat à l’étranger — demeure controversée.

Plusieurs appels ont été lancés dans des pays africains pour interdire cette pratique.

Pour l’autrice et militante ougandaise Rosebell Kagumire, le volontourisme est fondé sur des stéréotypes racistes. Des jeunes non qualifiés viennent dans les pays africains en pensant qu’ils peuvent résoudre les problèmes locaux carburent à « la suprématie blanche », dit-elle.

WE Charity a défendu la pratique.

« Comme tout aspect du développement international, offrir des voyages dans des régions en développement peut avoir de bons ou de mauvaises répercussions, dit l’organisme. Lorsque cela est fait correctement et en partenariat avec les communautés, ces voyages peuvent être bénéfiques en offrant une transparence organisationnelle, en permettant une immersion culturelle et en créant des emplois locaux grâce au tourisme et à l’hébergement de voyageurs. »

Mme Kagumire soutient que le volontourisme n’aide pas à résoudre les problèmes systématiques plus vastes qui ont conduit à la pauvreté généralisée en Afrique. « Ce n’est pas comme si les gens ne pouvaient pas construire leurs propres écoles, mais même si on les construit, quel système les gardera en activité ? »

Des préoccupations similaires à celles de Mme Kagumire ont été formulées au Canada.

Dans sa thèse de maîtrise de 2017, qui analysait la façon dont Me to We cherchait à attirer des jeunes Canadiens, Kelsey Buchmayer, alors étudiante à l’Université d’Ottawa, constatait que l’organisme renforçait leurs stéréotypes négatifs sur les pays visités.

« ME to WE favorise une approche invitant les gens à “ sauver ” ou à “ aider ” les populations au détriment d’une stratégie de développement plus sophistiquée favorisant le partenariat, la durabilité, le soutien à long terme et le renforcement des capacités », a-t-elle écrit.

En l’absence de politiques gouvernementales sur l’éducation et la mobilisation communautaire, « la nature même du travail de développement accompli par ME to WE est problématique et sans lien avec les résultats » sur le terrain, a-t-elle ajouté.

Cette dépêche a été produite avec l’aide financière des Bourses de Facebook et de La Presse Canadienne pour les Nouvelles.