Traitement cruel, longues détentions dans des conditions horribles, enfants séparés de leurs parents…

C’est ce à quoi s’exposent plus que jamais des demandeurs d’asile aux États-Unis, victimes du virage sécuritaire de l’administration Trump.

Peut-on considérer comme un « pays sûr » un endroit où des gens qui fuient la persécution sont persécutés ? Où des êtres humains en quête de protection tout à fait légitime sont punis pour cette quête ?

Pas sûr du tout, a tranché la Cour fédérale, mercredi, en invalidant l’Entente sur les tiers pays sûrs qui poussait des demandeurs d’asile à entrer au Canada en passant par le chemin Roxham afin d’échapper à ce triste sort.

Cette décision est une très bonne nouvelle pour les réfugiés et les défenseurs des droits de la personne. Elle oblige Ottawa à trouver d’ici janvier 2021 une solution pour ne plus être complice de violations des droits fondamentaux de demandeurs d’asile refoulés aux États-Unis. Cela mettra enfin un terme aussi aux traversées irrégulières de la frontière qui, dans certains cas, étaient périlleuses. Pas normal que des demandeurs d’asile qui fuient la mort la frôlent pour pouvoir déposer une demande d’asile au Canada… C’est pourtant arrivé à des migrants qui ont traversé la frontière au Manitoba en plein hiver, par grand froid. Au passage, certains ont eu des engelures si graves qu’ils ont dû subir des amputations des doigts et des orteils. Si on leur avait permis de franchir la frontière de façon régulière, tout ça aurait pu être évité.

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Depuis 2004, en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, la plupart des demandeurs d’asile qui se présentaient à un point d’entrée officiel à la frontière canado-américaine étaient refoulés aux États-Unis. En gros, le Canada leur disait : « Vous devez déposer votre demande d’asile dans le premier pays sûr que vous foulez. Nous considérons les États-Unis comme un pays sûr. C’est donc là que vous devez faire valoir vos droits. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Au cours des dernières années, de nombreux migrants ont emprunté le chemin Roxham pour présenter une demande d’asile au Canada.

Dans les faits, ces gens cherchant refuge étaient refoulés dans un pays « sûr » pas si sûr. Beaucoup d’entre eux étaient détenus, maltraités, risquant parfois la torture et même la mort.

C’est la raison pour laquelle, en 2017, des demandeurs d’asile, appuyés par le Conseil canadien pour les réfugiés, Amnistie internationale et le Conseil canadien des Églises, ont contesté l’entente bilatérale. Preuves et témoignages accablants à l’appui, ils ont fait valoir que les refouler aux États-Unis viole leurs droits fondamentaux et rend le Canada complice de cette violation.

La juge Ann Marie McDonald n’a pu rester indifférente à leur plaidoyer. Et pour cause. La façon dont les États-Unis traitent ces hommes, ces femmes et ces enfants en quête de protection « choque la conscience », lit-on dans la décision de la Cour fédérale. L’application de l’entente entre le Canada et les États-Unis viole la Charte canadienne des droits et libertés, qui stipule notamment que « chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne ».

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Depuis 2017, l’afflux de demandeurs d’asile sur le chemin Roxham a suscité son lot de confusion et d’inquiétude dans l’opinion publique. Bien qu’il n’y ait rien d’illégal à faire une demande d’asile, bien que ce soit un droit et non un choix, l’image de ces gens traînant leur valise sur un chemin de terre a marqué les esprits et nourri le mythe voulant qu’une horde de réfugiés « illégaux » soit à nos portes. Elle a servi de carburant à un discours populiste anti-immigration.

La pandémie nous a déjà révélé l’autre face de cette image. Elle nous a permis de réaliser que bon nombre des demandeurs d’asile de la « filière Roxham » dépeints par certains comme des « parasites » sont au contraire des travailleurs essentiels qui tiennent à bout de bras notre système dans des conditions extrêmement pénibles.

Fin mai, le premier ministre François Legault a dit vouloir trouver une façon de leur dire « merci » pour leurs sacrifices, en regardant avec Ottawa comment on pourrait régulariser le statut de ceux qu’il appelle « nos anges gardiens ». Deux mois plus tard, malheureusement, ces « anges gardiens » attendent toujours un merci qui ne vient pas, Ottawa et Québec ne s’étant toujours pas entendus sur la forme exacte qu’il devrait prendre et la liste des travailleurs qui y auraient droit.

La décision de la Cour fédérale invalidant l’Entente sur les tiers pays sûrs éclaire aussi à son tour la face cachée du chemin Roxham. Elle montre que ce qui est réellement choquant, ce n’est pas tant que des demandeurs d’asile aient emprunté ce chemin que la raison pour laquelle ils ont été forcés de le faire : un pays « sûr » pas si sûr.