(Vancouver) Un ancien ambassadeur en Chine a déclaré que la décision de mercredi dans le dossier d’extradition de la dirigeante de Huawei Meng Wanzhou pourrait également déterminer le sort de deux Canadiens détenus en Chine.

David Mulroney, qui a été ambassadeur du Canada en République populaire de Chine entre 2009 et 2012, dit que si Mme Meng est libérée, il s’attend à ce que la Chine finisse par emboîter le pas et libérer Michael Kovrig et Michael Spavor.

« Je crois que les Chinois attendraient quelques mois, mais fermeraient rapidement les dossiers contre les deux Canadiens et ils pourraient rentrer à la maison », a déclaré M. Mulroney en entrevue mardi.

La détention de MM. Kovrig et Spavor a été largement perçue comme des représailles arbitraires contre le Canada pour l’arrestation de Mme Meng, recherchée pour fraude aux États-Unis.

Si le dossier de Mme Meng passe à l’étape suivante, M. Mulroney dit qu’il craint que la Chine choisisse de poursuivre plus activement les deux Canadiens pour les accusations de sécurité nationale auxquelles ils sont confrontés.

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La dirigeante de Huawei Meng Wanzhou

Bien que l’arrestation de Mme Meng en décembre 2018 ait nui aux relations canado-chinoises, M. Mulroney croit que le comportement de la Chine au cours de la dernière année a eu pour effet de « dissocier » l’affaire de son influence initiale sur les relations bilatérales.

Il estime que l’ingérence de la Chine à Hong Kong et dans d’autres évènements a désenchanté les Canadiens face à l’idée ou à l’objectif de revenir à une sorte de « statu quo » avec la superpuissance asiatique.

« Je pense que si Mme Meng devait retourner en Chine, cela signifierait probablement de bonnes nouvelles pour les deux Michael, mais je ne pense pas que cela changerait ou devrait changer les relations Canada-Chine », a déclaré M. Mulroney, qui est également membre distingué de la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l’Université de Toronto.

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Michael Kovrig et Michael Spavor

« Je pense que même les plus ardents sympathisants chinois ont été contraints de réanalyser les choses et, je crois, forcés d’admettre qu’il n’y a pas de retour à un statu quo. Il n’a jamais existé et la Chine est tout sauf un partenaire normal. »

La juge Heather Holmes de la Cour suprême de la Colombie-Britannique devrait rendre sa décision dans le dossier de la soi-disant double incrimination mercredi, à Vancouver.

Les arguments juridiques sur la double incrimination visent à déterminer si les allégations auxquelles Mme Meng est confrontée aux États-Unis constitueraient un crime au Canada.

La décision pourrait conduire à sa libération ou pourrait lancer une nouvelle série d’arguments juridiques, notamment sur la question de savoir si son arrestation à l’aéroport de Vancouver en décembre 2018 était illégale.

Les États-Unis l’ont accusée de fraude en raison d’allégations selon lesquelles elle aurait violé les sanctions américaines contre l’Iran, ce qu’elle et le géant chinois des télécommunications ont nié.

Ses avocats ont fait valoir que le tribunal devrait rejeter l’affaire parce que le Canada a rejeté des sanctions similaires, tandis que la Couronne a déclaré que le rôle du juge était de déterminer s’il y avait des preuves de fraude.

Le premier ministre Justin Trudeau a répété mardi que les discussions diplomatiques sont continuelles avec les États-Unis et la Chine, notamment en ce qui concerne la détention des Canadiens en Chine.

« Un des avantages d’avoir un système de justice tout à fait indépendant, c’est que nous n’avons pas à expliquer ou à faire des excuses pour notre système », a déclaré M. Trudeau.

« Nous avons confiance dans le jugement et dans le travail que font les gens dans notre système judiciaire indépendant », a-t-il poursuivi en qualifiant cette indépendance de « grand avantage » pour le Canada.

Mais le porte-parole du ministre chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian, a décrit l’arrestation de Mme Meng comme étant politique et il a mis en garde contre d’éventuelles conséquences si elle n’était pas libérée.

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Zhao Lijian

« Les États-Unis et le Canada ont abusé de leur traité d’extradition et ont pris des mesures impératives arbitraires contre une citoyenne chinoise, sans motif », aurait affirmé le porte-parole selon une transcription publiée en ligne par le ministère.

« La partie canadienne devrait immédiatement corriger son erreur, libérer Mme Meng et s’assurer qu’elle rentre en sécurité en Chine rapidement afin d’éviter tout nouveau tort dans la relation entre le Canada et la Chine », aurait-il ajouté.

Selon l’ex-ambassadeur David Mulroney, la perspective de nombreux Canadiens envers la Chine a possiblement changé notamment en raison des violations des droits de la personne contre la communauté ouïghoure du Xinjiang ainsi qu’en raison du traitement réservé aux détenus canadiens.

Mais peu importe la décision rendue à Vancouver, elle n’aura que très peu d’impact sur la perspective de la Chine envers le Canada, croit-il.

« La Chine a toujours vu le Canada comme un petit pays, une dépendance des États-Unis, un pays dans lequel elle a quelques intérêts, mais pas un pays qui devrait arrêter quelqu’un vu virtuellement comme une princesse par la société chinoise. »

Yves Tiberghien, directeur et professeur de l’Institut de recherche asiatique et de science politique de l’Université de la Colombie-Britannique, considère que le Canada est l’un des nombreux pays à s’être fait prendre dans une affaire d’extradition impliquant les États-Unis au cours des dernières années.

Peu importe la décision, il s’agit d’une occasion de démontrer la force d’une justice indépendante. Si la décision est favorable à Mme Meng, cela n’aura aucun impact sur les relations Canada–États-Unis en raison du respect mutuel pour la règle de droit, dit-il.

Le meilleur scénario serait de démontrer au monde que notre système judiciaire est impartial et que toute l’esbroufe et la colère étaient inutiles.