Alors que les ministres du gouvernement Trudeau s’évertuent à appeler à la levée des barricades, il continue de s’en ériger sur les voies ferrées aux quatre coins du pays, et les injonctions pleuvent.

Au 20e jour du blocus, mardi, les libéraux n’avaient toujours pas réussi à obtenir une rencontre avec les chefs héréditaires wet’suwet’en. Mais le ministre des Services aux Autochtones, Marc Miller, a préféré s’attarder sur une avancée survenue la veille.

À sa sortie de la réunion hebdomadaire du Cabinet, il a noté que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de la Colombie-Britannique avait eu des discussions avec les chefs de cette Première Nation qui s’opposent au projet de gazoduc Coastal GasLink.

La police fédérale l’a confirmé, mais s’est montrée avare de détails. « Par respect pour les discussions et la confiance que tous espèrent, nous ne souhaitons pas entrer dans les détails en ce moment », a écrit dans un courriel une porte-parole, Janelle Shoihet.

La GRC a déplacé vendredi dernier un poste de commandement mobile qui se trouvait en terre ancestrale wet’suwet’en – les agents n’ont toutefois pas quitté l’ensemble du territoire, dont la superficie est d’environ 22 000 kilomètres carrés, a précisé Marc Miller.

Son collègue à la Sécurité publique, Bill Blair, a plus tard élaboré. « À aucun endroit au Canada la règle de droit ne devrait pas être respectée [...] Les gens qui habitent ce territoire ont droit au service et à la protection des policiers », a-t-il offert en mêlée de presse.

En plus d’avoir réclamé le départ de la GRC, les chefs héréditaires ont exigé celui des travailleurs du gazoduc avant de consentir à une rencontre avec des émissaires des gouvernements canadien et britanno-colombien.

Dans les deux cas, rien n’est réglé, signale en entrevue avec La Presse l’ancien député néo-démocrate Nathan Cullen, qui a été recruté pour agir comme intermédiaire entre les divers acteurs de ce conflit.

« Les conversations se poursuivent, mais ce n’est pas encore résolu », a indiqué celui qui travaille depuis cinq semaines sur le dossier, à la demande du gouvernement provincial et avec « la bénédiction » des chefs héréditaires.

« Je reste optimiste. Mais le dialogue est très difficile. Les défis sont réels. Il reste que le dialogue est mieux que l’autre option [le recours à la force] », a plaidé l’ancien élu de la circonscription où se trouve le territoire de la Première Nation de Wet’suwet’en.

Le promoteur du projet Coastal GasLink a quant à lui signalé mardi à La Presse que « le travail se poursuit ».

Les chefs héréditaires, dont certains ont passé quelques jours chez les Mohawks du Québec et de l’Ontario la semaine dernière, avaient proposé une réunion « à la fin du mois », selon la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett.

L’opposition toujours sur les dents

En attendant, l’appel à la levée des barricades qu’a lancé Justin Trudeau vendredi passé a semblé causer l’effet inverse : au cours des dernières heures, les blocus ont poussé un peu partout au pays, amplifiant une crise dont la voie de sortie demeure incertaine.

Au Québec, les corps policiers ont multiplié les interventions, et les barricades dressées à Kahnawake et Listuguj étaient menacées par l’obtention d’injonctions ordonnant leur démantèlement.

À l’autre bout du pays, du côté de Vancouver, des militants ont bloqué une intersection permettant d’accéder au port de la métropole. Des manifestants ont aussi occupé des rails près de Hamilton, en Ontario, retardant les usagers des trains de banlieue.

L’opposition avait d’autant plus de munitions pour attaquer le gouvernement pendant la période des questions en Chambre, mardi. La séance – dont le premier ministre s’est absenté même s’il était en ville – a été aussi houleuse que celles des derniers jours.

Le premier ministre veut faire la leçon aux autres pays, mais quand il y a une crise ici, chez nous, au Canada, il ne fait rien. Est-ce qu’il y a quelqu’un de l’autre côté qui peut prendre la relève ?

Le député conservateur Pierre Paul-Hus

Le ministre des Transports, Marc Garneau, a voulu miser sur le positif en lui répondant.

« Hier [lundi], la voie a été partiellement ouverte et le premier train du CN a pu passer entre Toronto et Montréal. Nous espérons que, bientôt, tous les trains vont passer partout au Canada », a-t-il affirmé.

Le chef bloquiste Yves-François Blanchet, lui, a demandé si Justin Trudeau comptait « mettre son popotin ministériel dans un avion, aller en Colombie-Britannique avec les ministres et régler cela par la négociation ».

Un tel déplacement n’est pas dans les plans, a-t-on réitéré mardi au bureau du premier ministre.

Des Mohawks « armés »

Le premier ministre québécois François Legault a pour sa part exprimé le souhait qu’un démantèlement des barricades à Kahnawake se fasse « de façon correcte, sans violence ».

« On est très conscients – et je suis assez vieux pour me rappeler [de la crise] d’Oka –, on sait qu’il y a des Mohawks qui sont armés, donc on est très prudents », a-t-il soutenu en marge d’une annonce à Montréal

Les ministres québécois croisés dans les couloirs de l’édifice de l’Ouest, à Ottawa, n’ont pas voulu commenter directement cette affirmation.

Pénuries en vue

La Fédération canadienne de l’agriculture (FCA), dont les membres étaient réunis en assemblée générale à Ottawa mardi, a par ailleurs réclamé une intervention du gouvernement Trudeau pour trouver une solution rapide.

« Grosso modo, sept à dix jours sont les estimations que nous avons des stocks qui nous restent, autant au niveau du propane que du soya, pour faire face à la situation », a avancé Marcel Groleau, président de l’Union des producteurs agricoles (UPA).

La ministre de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, a convenu que les producteurs vivaient une situation « très, très difficile » et que le gouvernement tentait de trouver le « juste équilibre » pour sortir de cette crise.

Le PLC baisse dans les sondages

La crise commence par ailleurs à avoir un impact sur la cote de popularité des troupes libérales : un sondage national réalisé par la firme Nanos place le Parti conservateur en tête (36 %) devant le Parti libéral (33 %) dans les intentions de vote pour la première fois depuis les élections fédérales d’octobre dernier. Le coup de sonde a été mené dans la semaine se terminant le vendredi 21 février.

— Joël-Denis Bellavance, La Presse

Rhétorique anti-autochtone

L’ancien député du NPD Nathan Cullen choisit de ne pas accorder d’importance à un certain discours hostile à l’endroit des Autochtones qui circule sur les réseaux sociaux en ce contexte de crise qui trouve son origine dans un désaccord impliquant une Première Nation. « Ça a toujours existé. Pas seulement pour les Autochtones – peut-être eux en particulier, mais quand n’importe quel groupe qui n’a pas de pouvoir décide de se lever, il y a toujours un ressac », a-t-il suggéré à l’autre bout du fil. « Peut-être que les gens se sentent un peu plus enhardis de parler ainsi, peut-être qu’on y accorde plus d’attention. Pas moi. Ces gens sont bornés, et guidés par la rancœur », a-t-il tranché.

— Mélanie Marquis, avec Marie-Eve Morasse, La Presse, et La Presse canadienne