À la veille de la vaste opération américaine d'expulsions et d'arrestations de sans-papiers, les migrants ne semblaient pas plus nombreux qu'à l'habitude, hier, au bout du chemin Roxham. Dans le passé, des annonces semblables avaient pourtant provoqué un afflux important à ce lieu de passage irrégulier entre le Canada et les États-Unis.

Du côté américain de la route, dans l'État de New York, des traces de roulettes sur le sol témoignaient du passage récent de valises. Des poubelles bleues étaient remplies de détritus : une peluche sale, des bouteilles d'eau vides et des bouts de papier déchirés sur lesquels on pouvait lire, notamment, des trajets. Environ un mètre plus loin, une pancarte bilingue indique qu'il est illégal de traverser la frontière à cet endroit.

Robert Stahl, résidant depuis deux ans d'une maison située sur la route menant au chemin Roxham, a dit voir environ 12 taxis par jour - dans ce cul-de-sac, ils ne peuvent que transporter des migrants, a-t-il évalué.

« Ça ne me dérange pas tellement, a réagi l'homme de 35 ans, un tatouage du Canadien de Montréal sur le bras. Il y a une femme, du Nigeria, je pense, qui est venue me voir, un moment donné. Elle ne voulait pas traverser illégalement et m'a demandé de la conduire au poste frontalier. J'étais un peu nerveux, mais je suis allé. »

Du côté canadien, les résidants du chemin Roxham semblaient aussi s'être habitués à la situation. Toutes les personnes rencontrées ont refusé de donner une entrevue, lassées par les médias et les curieux débarqués en grand nombre ces dernières années dans leur coin. Une femme a indiqué gentiment qu'elle tentait de ne pas savoir ce qui se passe non loin de chez elle.

Ce n'est cependant pas un hasard si les sans-papiers décident dans une large proportion de traverser la frontière canadienne de manière irrégulière, plutôt que de passer par les postes de l'Agence des services frontaliers. Si l'Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis prévoit qu'il faut demander l'asile dans le premier pays sûr où le migrant pose les pieds - que ce soit le Canada ou les États-Unis -, elle ne s'applique pas aux gens qui traversent la frontière entre les points d'entrée officiels.

Or, une modification récente à la loi canadienne pourrait rendre la vie difficile aux demandeurs d'asile ayant déjà présenté leur requête aux États-Unis. La loi risque d'être contestée devant les tribunaux, selon Me Stéphane Handfield, avocat spécialisé en immigration.

« Ça ne veut pas dire, parce qu'un tribunal américain n'a pas reconnu l'asile à une personne, que ce ne serait pas le cas ici », dénonce-t-il, citant la persécution fondée sur l'orientation sexuelle ou la violence conjugale au nombre des critères pouvant être jugés différemment entre les deux voisins.

Affluence sur le chemin Roxham

Même si l'affluence semble s'être stabilisée, des gens continuent à emprunter le chemin Roxham pour gagner le Canada. Hier, lors du passage de La Presse, un homme et une femme sont descendus d'un taxi, avec deux valises noires et un sac à dos. Les agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), installés dans un bâtiment de l'autre côté, les ont avertis qu'ils seraient arrêtés s'ils poursuivaient leur chemin et les ont questionnés sur leur provenance. « Afrique », a simplement répondu l'homme, sans préciser le pays. Le couple a décidé de continuer vers le Canada, visiblement au courant de la procédure.

Après un bond en avril dernier - le nombre d'interceptions par la GRC pour passage irrégulier dans l'ensemble du Canada était passé de 1002 en mars à 1246 en avril -, le dernier chiffre disponible pour l'année 2019, en mai, recense 1196 interceptions.

La très vaste majorité de ces entrées ont été faites au Québec. Pour les cinq premiers mois de l'année, 4993 personnes ont ainsi été appréhendées à la frontière au Québec. La province se situant au deuxième rang des entrées irrégulières, la Colombie-Britannique, en comptait 89 durant la même période. Cette différence s'explique par le terrain plus difficile, avec ses marécages, ses champs et ses forêts, dans d'autres provinces, selon Me Handfield.

Même s'il est possible pour des migrants de faire une première demande d'asile après une entrée au pays entre deux postes officiels, rien ne garantit qu'elle sera acceptée. Sur 20 599 demandes faites en 2018 après un tel passage, 3308 ont été acceptées et 3103 ont été refusées.

Il reste cependant un grand nombre de dossiers à traiter. Sur les 41 577 demandes d'asile reçues après une entrée irrégulière entre février 2017 et mars 2019, le tiers seulement avaient été traités, selon la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada.

Il n'a pas été possible de parler à un porte-parole de la Gendarmerie royale du Canada hier.