Justin Trudeau a versé une larme, vendredi, en présentant ses excuses aux Inuits du nord du Canada qui avaient été soignés dans le sud contre la tuberculose au milieu du XXe siècle - une opération de santé publique mal gérée et empreinte de colonialisme, a admis le premier ministre.

« Aujourd'hui, je suis ici afin de présenter des excuses officielles pour la gestion par le gouvernement fédéral de la tuberculose dans l'Arctique, des années 1940 aux années 1960 », a-t-il déclaré, ému, à Iqaluit, au Nunavut, devant une assemblée qui ne retenait pas non plus ses larmes. « Beaucoup d'entre vous connaissent trop bien cette politique. »

M. Trudeau a reconnu que de nombreux Inuits atteints de tuberculose étaient morts après avoir été séparés de leur famille et de leur communauté et emmenés dans le sud par bateau, par train ou par avion. Ce traitement est finement relaté dans le film Ce qu'il faut pour vivre, réalisé en 2008 par Benoît Pilon et coscénarisé par Bernard Émond.

« Nous sommes désolés, a déclaré M. Trudeau vendredi. Nous sommes désolés de vous avoir forcés à quitter votre famille, de ne pas vous avoir témoigné le respect et les soins que vous méritiez. Nous sommes désolés pour votre souffrance. Pour ceux qui ont été séparés d'êtres chers, nous sommes désolés. Désolés pour avoir brisé le bien le plus précieux : l'amour de son foyer. »

Le premier ministre a également présenté ses excuses à ceux qui ne savent toujours pas ce qui est arrivé à leur proche.

« Nous sommes désolés pour les communautés qui subissent les conséquences de cette politique, notamment, a-t-il aussi déclaré. Nous regrettons qu'en raison de nos erreurs, de nombreux Inuits ne fassent pas confiance au système de santé et ne puissent donc pas obtenir d'aide quand ils en ont besoin. Nous sommes désolés pour la mentalité coloniale qui a motivé les actions du gouvernement fédéral. »

Avant de présenter les excuses du gouvernement, M. Trudeau avait reçu une longue accolade d'une femme qui a raconté à l'assemblée que son mari était mort dans le Sud mais que son corps n'avait jamais été rendu à sa famille.

« Encore des excuses » ?

Le premier ministre s'est rendu dans la capitale du Nunavut un jour plus tard que prévu - le mauvais temps jeudi avait empêché son avion d'atterrir.

M. Trudeau a également annoncé vendredi la création d'une base de données que les familles inuites pourront bientôt consulter pour retrouver les lieux de sépulture de leur proche. La base de données fait partie d'une initiative plus vaste appelée Nanilavut, ce qui signifie « trouvons-les » en inuktitut.

« Je ne peux même pas commencer à imaginer ce que ça peut être de perdre quelqu'un que vous aimez et de ne pas savoir ce qui s'est passé », a dit le premier ministre.

Ces excuses étaient en préparation depuis presque deux ans, lorsque M. Trudeau a signé en 2017 un accord de partenariat entre la Couronne et les Inuits.

Nathan Obed, président de l'Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), qui représente quelque 60 000 Inuits vivant dans quatre régions du nord du Canada, estime que les mauvais traitements infligés aux Inuits lors des éclosions de tuberculose constituent un « échec massif en matière de droits de la personne » de la part du gouvernement fédéral. Selon lui, Ottawa a pris beaucoup trop de temps pour reconnaître officiellement ses erreurs.

M. Obed déplore par ailleurs le fait que le gouvernement Trudeau ait été souvent critiqué depuis trois ans pour ses trop nombreuses excuses publiques : il soutient que les excuses aux Inuits étaient nécessaires dans le cadre du processus de guérison et de réconciliation.

Un survivant parle

James Eetoolook, âgé de 72 ans, est un survivant de la tuberculose, appartenant aussi à une famille de survivants. Au fil des ans, lui et sept membres de sa famille ont été atteints de la maladie infectieuse, y compris sa mère, ses soeurs et son frère, qui ont été diagnostiqués pour la première fois au milieu des années 1940, lorsqu'un des navires transportant des médecins a atteint leur village nordique.

M. Eetoolook a été diagnostiqué à l'âge de 16 ans ; il a été envoyé à Edmonton, où il a été hospitalisé et alité pendant des mois. Selon lui, le gouvernement fédéral a mis trop de temps à diagnostiquer la maladie au sein de la population inuite, et n'a pas fait assez pour suivre ceux qui avaient été emmenés dans le Sud pour y être soignés.

Aujourd'hui vice-président de Nunavut Tunngavik, M. Eetoolook s'inquiète par ailleurs que la tuberculose atteigne encore des niveaux plus élevés en terres inuites, à une époque où cela ne devrait tout simplement pas se produire.

En octobre 2017, la ministre fédérale de la Santé Jane Philpott avait annoncé la création d'un groupe de travail chargé d'élaborer un plan d'élimination de la tuberculose chez les Inuits. « Le gouvernement a déclaré vouloir éliminer la tuberculose d'ici 2030, a rappelé M. Eetoolook. Est-ce qu'ils vont le faire ? Probablement pas. »

Selon le dernier rapport de l'Agence de la santé publique du Canada, le taux annuel moyen de tuberculose chez les Inuits il y a un an était encore plus de 290 fois supérieur à celui des non-Autochtones nés au Canada. L'agence attribue notamment cette recrudescence au logement social, à l'insécurité alimentaire et au surpeuplement.

Plus de la moitié des résidents du Nunavut vivent dans des logements sociaux souvent exigus. Par ailleurs, 60 % d'entre eux sont des fumeurs.