Un homme d'origine haïtienne ayant vécu la majeure partie de sa vie au Québec et qui affirme ne jamais avoir pu plaider sa cause devant les autorités sera expulsé aujourd'hui en Haïti, pays dont il ne connaît rien et où il ne connaît personne.

À l'appartement de Chondy Pierre et de sa conjointe, hier, la mère de l'homme de 26 ans se demandait avec émotion ce qu'elle fera si son fils est renvoyé en Haïti. « Je viens d'apprendre que j'ai un cancer, a-t-elle dit. J'ai besoin de lui ici. »

Adossé à un mur du salon, M. Pierre, entouré de sa mère, de sa tante, de son petit frère et de sa femme, retenait ses larmes. Il doit s'occuper de son frère qui a un handicap intellectuel, explique-t-il. Il y a aussi son fils, qui n'a que 4 ans. Toute sa famille est au Québec, dit-il.

Mais Chondy Pierre a épuisé tous ses recours pour faire infirmer la décision, de la Cour fédérale au ministre de l'Immigration en passant par sa députée. Rien n'a fonctionné.

Ce que M. Pierre souhaite, c'est de pouvoir faire entendre son appel devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR). Depuis que l'ordre d'expulsion a été donné, il n'a pas pu plaider sa cause, assure-t-il, car il n'aurait jamais reçu de convocation. « C'est d'une injustice totale [...] La loi veut que tout le monde puisse parler et être entendu par le tribunal pour faire valoir son recours », soutient son avocat, Stewart Istvanffy.

Il n'a pas été possible d'obtenir les commentaires de la CISR ainsi que d'Immigration Canada au cours de la fin de semaine.

Convocation manquée

Pour Chondy Pierre et son avocat, toute cette situation résulte d'un changement d'adresse qu'il a omis de signaler. L'ordre de renvoi a été donné en 2015 car des condamnations criminelles figurent au dossier de M. Pierre. Ce dernier a formulé un avis d'appel en 2016. Quelque 30 mois plus tard, à l'été 2018, la CISR l'a convoqué pour l'audition de cet appel. Mais l'avis a été envoyé à une ancienne adresse, car M. Pierre n'a pas averti la Commission de son changement de résidence. 

Il ne savait donc pas qu'il devait se présenter devant la CISR, dit-il. Étant donné son absence, son dossier a été fermé et l'ordre d'expulsion confirmé au début de l'hiver. 

M. Pierre soutient qu'il avait effectué son changement d'adresse à la cour criminelle, ainsi qu'auprès de son ancien avocat, à l'époque. Mais personne ne l'a avisé de la nécessité de faire son changement d'adresse directement auprès de la Commission, plaide-t-il.

« Je trouve plate que l'Immigration trouve plus importante une procédure de changement d'adresse qu'une personne », dit Chondy Pierre. L'avis de convocation a toujours été retourné à l'expéditeur, ce qui aurait dû être pris en compte par la Commission, selon lui. « Ils disent qu'ils ont cherché à me trouver, sans succès. Mais pour me dire qu'ils allaient me déporter, là, ils ont pu me trouver », soulève-t-il.

Une plainte a été déposée auprès de la Commission des droits de la personne quant au fait « que quelqu'un puisse être expulsé sans avoir été entendu, sans égard à ce qu'il a à dire », a déclaré Stewart Istvanffy. 

Enfance douloureuse

Chondy Pierre venait d'avoir 5 ans lorsqu'il est venu rejoindre sa mère au Québec avec son petit frère, en décembre 1997. Dès son arrivée, il a obtenu la résidence permanente. 

Depuis, il n'a jamais remis les pieds en Haïti. Il a fait sa vie ici. Une vie qui avait commencé dans la violence. Alors qu'il avait environ 6 ans, il a été placé sous l'aile de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), après que sa mère, atteinte de troubles mentaux, a tenté de le tuer, ainsi que son frère. Le garçon a atterri en famille d'accueil et est resté dans le système jusqu'à ses 18 ans.

Il a fini par pardonner à sa mère et par reprendre contact avec elle. Mais en grandissant, parce qu'il n'avait pas de structure familiale autour de lui et que le système de protection de la jeunesse n'a pas pris en main son dossier d'immigration, il n'a jamais tenté d'obtenir sa citoyenneté. « Si j'avais été avec ma famille, peut-être que je serais déjà citoyen », soutient-il. 

La précarité de son statut de résident permanent a permis l'ordre de renvoi, sur la base de son dossier criminel. 

Le passé le rattrape

Chondy Pierre a 19 ans lorsqu'il est impliqué dans une altercation avec un groupe de jeunes. Sur les conseils de son avocat à l'époque, il plaide coupable à des accusations de voie de fait avec lésions pour éviter d'être incarcéré, mais sans comprendre les répercussions de ce geste, soutient-il. 

La CISR lui retire alors d'office sa résidence permanente. « Quand tu es immigrant, si tu es trouvé coupable d'un crime considéré de "grande criminalité" et que quelqu'un informe l'immigration de ton dossier criminel, il va y avoir une demande de renvoi », explique Stewart Istvanffy.

Quelques années plus tard, lors d'une dispute avec sa conjointe de l'époque, un voisin appelle la police, qui procède à son arrestation. Durant l'intervention, un des policiers utilise du gaz poivre, un autre est blessé. Chondy Pierre écopera d'une peine pour agression physique contre un agent de la paix. Son avocat estime plutôt que les policiers étaient en faute.

C'est compte tenu de ces condamnations que l'Agence des services frontaliers a statué que l'homme devait être expulsé en Haïti. « C'est comme une peine de mort pour moi », lâche-t-il.

Hier, à 24 heures du moment de l'expulsion, l'angoisse et la tristesse étaient palpables dans l'appartement de Chondy Pierre et de sa conjointe. « On ne peut plus vivre, on ne fait qu'attendre, a déclaré Myriam Robert. Tous nos projets de vie sont en stand-by. C'est juste l'enfer. »