Le Canada n’échappe pas à la montée de l’extrême droite frappant les États-Unis, mais dispose, selon un expert, de plusieurs atouts qui limitent la probabilité d’une succession d’attentats meurtriers comme celle qui est imputée à cette mouvance au sud de la frontière.

Benjamin Ducol, chercheur au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, relève que le contrôle des armes, de nouveau débattu du côté américain dans la foulée des attentats d’El Paso et de Dayton, est le principal facteur distinctif entre les deux pays.

Des individus radicalisés qui ont l’intention de passer aux actes et d’orchestrer un attentat sont plus susceptibles d’être freinés dans leur élan si l’accessibilité aux armes est sensiblement restreinte, dit-il.

Le niveau relativement moins prononcé de polarisation politique et idéologique que l’on observe au Canada limite aussi la violence extrémiste, selon l’analyste.

« C’est dans l’ADN des Canadiens d’être plus pacifiques, plus portés au compromis », souligne-t-il.

L’accessibilité plus grande aux soins de santé, incluant en matière de santé mentale, limite aussi les risques de dérive comparativement aux États-Unis.

Le fait qu’on ait la capacité de venir en aide aux gens les plus fragiles fait une grosse différence.

Benjamin Ducol, chercheur au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence

L’attentat ciblant la mosquée de Québec a montré, il y a quelques années, que la menace n’en demeure pas moins considérable, relève l’analyste, qui se félicite de l’évolution de l’attitude des autorités fédérales relativement aux risques posés par l’extrême droite.

Ottawa a longtemps considéré que cette mouvance ne « représentait pas une menace pour la sécurité nationale », concentrant l’essentiel des ressources à la lutte contre le terrorisme islamique.

Le massacre perpétré par Alexandre Bissonnette a cependant changé la donne, note M. Ducol, qui participe à une enquête nationale d’envergure sur l’extrême droite financée par le ministère fédéral de la Sécurité publique.

« On s’inquiète de plus en plus de l’extrême droite », avait indiqué le gouvernement en mars dernier à l’appui de cette démarche.

La montée en force de cette mouvance serait notamment à l’origine d’une augmentation marquée du nombre de crimes haineux, qui ont bondi de 47 % en 2017, selon Statistique Canada.

MONTÉE DE L’EXTRÊME DROITE

Sur le terrain, la Dre Ghayda Hassan, psychologue clinicienne et professeure en psychologie clinique à l’Université du Québec à Montréal, qui travaille notamment auprès de jeunes et de familles touchées par des actes d’extrémistes violents à Montréal, observe que les groupes d’extrême droite attirent de plus en plus d’adeptes.

« Je vous dirais que la grande majorité de nos cas, c’est de l’extrême droite. On n’en voit presque plus, de la radicalisation violente religieuse comme Daech [le groupe État islamique] », explique celle qui est également coprésidente du Comité national de spécialistes sur la lutte contre la radicalisation menant à la violence, qui conseille le gouvernement fédéral dans ses actions.

« Ce qui prend beaucoup de place au Canada, c’est l’acteur solitaire », note-t-elle. 

Je pense que ça [l’acteur solitaire], c’est beaucoup plus une menace chez nous que des groupes extrêmement bien organisés. Sauf que le problème, c’est que plus il y a de groupes, plus il y a du contenu pour les inspirer

La Dre Ghayda Hassan, psychologue clinicienne et professeure en psychologie clinique à l’UQAM

Par ailleurs, c’est au Québec et en Ontario qu’il y aurait le plus grand nombre de groupes liés à l’extrême droite. « On parlerait d’entre 20 et 25 au Québec, et entre 18 et 20 en Ontario en 2018 », indique Ghayda Hassan, citant les travaux du chercheur canadien Ryan Scrivens. Ces chiffres varient entre 6 et 15 dans les autres provinces.

AUGMENTATION AUX ÉTATS-UNIS

Du côté des États-Unis, l’augmentation d’attaques violentes attribuables à l’extrême droite est bien documentée, alors que plusieurs analystes sonnent l’alarme.

Dans un rapport paru en novembre, le Center for Strategic and International Studies (CSIS) pressait les forces policières de réallouer une partie des ressources dévolues à la lutte contre le terrorisme islamiste pour « infiltrer les réseaux d’extrême droite et prévenir de futures attaques ».

L’organisation relevait à l’appui de cette demande le fait que 31 « attaques terroristes » attribuables à cette mouvance avaient été recensées aux États-Unis en 2017, alors qu’il y en avait moins de cinq par année entre 2007 et 2011.

Dans la foulée de l’attentat d’El Paso, nombre d’opposants du président américain Donald Trump lui ont reproché d’encourager la violence par ses sorties hostiles envers les immigrants.

L’auteur de l’attentat, dans un manifeste diffusé en ligne, a prévenu que sa position personnelle en matière d’immigration avait été développée bien avant que le politicien n’accède au pouvoir.

Benajmin Ducol pense qu’il ne faut pas « exagérer l’importance » des déclarations du président dans la montée de l’extrême droite.

C’est d’abord la crise financière de 2008 qui a fragilisé économiquement un segment important de la population américaine, ouvrant la voie à une montée d’intolérance, souligne-t-il.

Barbara Perry, qui chapeaute l’étude sur l’extrême droite commandée au Canada par le ministère de la Sécurité publique, pense que la culture « toxique » de « haine de l’Autre » entretenue par une partie de la classe politique américaine contribue aux dérives violentes observées dans le pays.

Une “crise migratoire” a été fabriquée pour courtiser une base électorale très conservatrice et réactionnaire qui se sent apparemment dépossédée.

Barbara Perry, chercheuse de l’Institut universitaire de technologie de l’Ontario

Benjamin Ducol note que l’internet et les réseaux sociaux facilitent la propagation des discours radicaux, incluant ceux des groupes d’extrême droite, généralement unis dans leur aversion pour les immigrants.

Le tueur d’El Paso a puisé son inspiration à ce sujet en ligne et a « amalgamé une foule d’idées du moment » pour se construire une philosophie qui n’est pas nécessairement facile à catégoriser, note l’analyste.

Outre l’immigration, il exprimait notamment des préoccupations au sujet de l’environnement ainsi qu’une hostilité envers l’action des grandes entreprises.

L’élément commun, note M. Ducol, est le sentiment que la société est en train de « s’effondrer » et qu’il est urgent d’agir.