(Ottawa) Un mouvement se dessine au Canada pour la décriminalisation des opioïdes.

Donna May, la directrice de mumsDU, un groupe de défense des toxicomanes, refuse dorénavant de tolérer les larmes des politiciens versées devant la consommation croissante des opioïdes et des décès qu’elle engendre. Le produit a coûté la vie à trop de gens qu’elle aimait.

Elle réclame que l’usage de ces drogues soit dépénalisé. Elle n’est pas la seule dans son camp.

« Nous avons la capacité d’empêcher ces décès et nous nous retenons de faire ce qui est juste, déplore-t-elle. J’ai perdu mon frère, il y a à peine un an, même après avoir perdu ma fille et avoir pu lui dire :’Toutes ces drogues sont un poison’. »

Sa fille Jacey, qui était devenue dépendante au fentanyl après s’être blessée en tombant d’un escalier, est morte elle aussi, il y a sept ans.

Les interventions du gouvernement pour résoudre la crise des opioïdes n’ont pas empêché des milliers d’autres personnes, souligne Mme May.

« Je crains que si nous ne prenons pas des mesures efficaces et immédiates, nous assisterons à une amplification considérable de la crise. Cela n’a pas pris fin. Elle n’a même pas diminué. Elle ne fait que croître à un rythme exponentiel dans tout le Canada. »

Le premier ministre fédéral Justin Trudeau a refusé de proposer une décriminalisation, malgré les pressions exercées par des militants et même des députés libéraux.

En avril, lors d’une réunion à Halifax, les militants ont adopté une résolution non contraignante sur la dépénalisation de la possession simple et de la consommation de toutes les drogues illicites.

M. Trudeau a rejeté l’idée. « Sur cette question particulière, comme je l’ai dit, cela ne fait pas partie de nos plans », a-t-il déclaré.

Au cours des neuf premiers mois de l’année dernière, l’Agence de la santé publique a signalé que 3286 Canadiens ont trouvé la mort à la suite d’une surdose apparente liée aux opioïdes, ce qui porte le total à plus de 10 300 de janvier 2016 à septembre 2018.

En réponse à ce bilan stupéfiant, la responsable de la santé publique en Colombie-Britannique, la Dre Bonnie Henry, a demandé au gouvernement de la province de décriminaliser la possession de substances contrôlées à des fins personnelles, affirmant que la Colombie-Britannique ne pouvait plus attendre qu’Ottawa agisse.

Selon elle, la décriminalisation de la possession de drogues dures est une étape importante pour « endiguer un flot de morts sans précédent ».

« J’ai exhorté le gouvernement fédéral à réglementer l’accès aux drogues actuellement contrôlées, en mettant l’accent sur la réduction des dommages associés à l’utilisation de ces substances », a-t-elle souligné.

Le NPD fédéral et un nombre croissant d’experts de la santé réclament eux aussi une décriminalisation.

« Nous pouvons lancer une discussion dans notre pays au sujet des drogues, de la santé mentale et des toxicomanies, a dit un ancien président de l’Association médicale canadienne, le Dr Jeffrey Turnbull. Pouvons-nous continuer à mettre tous ces gens dans nos prisons ou ne devrions-nous pas essayer de traiter cela comme un problème de santé plutôt que de justice ? »

Pour sa part, la responsable de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, a bien pris soin de préciser que le gouvernement fédéral n’était pas prêt à dépénaliser les drogues illicites.

Le fentanyl et le carfentanil sont vendus dans la rue comme des produits moins puissants, ce qui a contribué à la hausse des surdoses. Les médicaments les plus puissants sont plus faciles à transporter et à vendre, mais lorsque les utilisateurs ne connaissent pas la puissance des substances qu’ils prennent, les risques d’une surdose deviennent plus importants.

« Nous pouvons faire beaucoup plus en examinant les différentes manières de fournir aux consommateurs de drogues une solution de remplacement plus sûre », a dit Mme Tam.

Santé Canada finance des projets pilotes, tels que la fourniture d’un hydromorphone de qualité pharmaceutique aux personnes qui utilisent des drogues illicites « dans le but de les soustraire à l’approvisionnement en substances toxiques ».

Le ministère devrait rechercher un approvisionnement plus sûr sur une large base plutôt que dans des projets pilotes dispersés, a déclaré Mme May, ajoutant qu’elle considérait la décriminalisation comme la « seule prochaine étape ».

La résistance de Trudeau à la décriminalisation est « une énorme déception », fait-elle valoir.

« Il nous donne ses réponses sans donner de raison pour les justifier. Elles n’ont tout simplement aucun sens », a-t-elle ajouté.