Razak Iyal se réveille encore au milieu de la nuit, ressentant les vents glacés qui soufflaient lors de la veille de Noël, il y a deux ans, le jour où sa vie a basculé.

« Cela me revient en rêve tout le temps. J'y pense. Quand je me réveille dans mon lit, que je regarde mes mains et que je n'ai plus de doigts », a confié l'homme de 36 ans lors d'une récente entrevue.

Une violente tempête hivernale balayait le sud du Manitoba lorsque Razak Iyal et Seidu Mohammed, qu'il avait rencontré dans une gare d'autocars de Minneapolis en 2016, ont entrepris leur périple pour franchir à pied la frontière canado-américaine, près d'Emerson.

Le refroidissement éolien au cours de cette fameuse nuit a fait chuter la température à -30 °C alors que le duo progressait difficilement, dans l'obscurité, à travers les champs enneigés. Ils ont passé des heures dans le froid avant d'être remarqués par un camionneur.

À ce moment-là, les deux hommes avaient subi des engelures graves. À la suite de leur traversée, M. Iyal allait perdre tous ses doigts, sauf ses pouces, et M. Mohammed allait perdre ses dix doigts.

En échange de tout ce qu'ils ont laissé derrière eux, y compris leur famille et leur emploi, Razak Iyal affirme qu'ils ont gagné une communauté de soutien, une nouvelle maison et un avenir prometteur.

« Pour moi et Seidu, nous dirions que lorsque nous sommes arrivés au Canada, (il est malheureux) que cela nous soit arrivé. Mais nous sommes heureux d'être au Canada parce que nous avons rencontré de bonnes personnes autour de nous, qui nous encouragent », a mentionné M. Iyal.

« Une fois que c'est fait, que pouvons-nous faire ? Nous restons simplement déterminés. Nous prions simplement Dieu pour qu'un jour nous surmontions ce qui nous est arrivé. »

Les deux hommes originaires du Ghana faisaient partie de la première vague de demandeurs d'asile à franchir la frontière canadienne de manière irrégulière après l'élection de Donald Trump et ses décrets en matière d'immigration.

Le nombre de personnes franchissant irrégulièrement la frontière pour demander l'asile au Manitoba a augmenté pendant plusieurs mois en 2017, mais a depuis diminué de façon significative. Seulement 23 demandeurs d'asile ont été interceptés par la GRC dans la province en octobre.

Menacé au Ghana

Razak Iyal raconte qu'il a fui le Ghana parce que sa vie était menacée en raison d'un conflit entourant l'héritage de la propriété de son père. Il n'a pas revu sa femme depuis 2012.

Il ajoute que depuis son arrivée au Canada, la situation est devenue encore pire pour lui au Ghana. Certains médias dans son pays l'auraient identifié comme homosexuel parce qu'il avait voyagé avec M. Mohammed, qui est bisexuel. La communauté LGBTQ dans ce pays africain est réprimée.

Les deux hommes ont obtenu le statut de réfugié en 2017.

MM. Iyal et Mohammed se sont rencontrés juste avant de décider d'entreprendre la difficile traversée de la frontière, et leur tragique expérience a forgé un lien durable entre eux. Ils se parlent tous les jours et se soutiennent dans la construction de leur nouvelle vie... sans doigts.

« Je l'aime tel qu'il est, et il m'aime aussi tel que je suis. On s'aime comme des frères. »

Les deux hommes font toujours face à d'importants défis dans la réalisation de leur rêve canadien. Après une année de suivis médicaux, de réadaptation et d'apprentissage de la vie sans doigts, ils cherchent maintenant à décrocher un emploi et à redonner à la communauté qui les soutient.

Pendant que son ami suit des cours d'anglais et d'autres formations, M. Iyal cherche un boulot qu'il peut accomplir sans ses doigts.

Il travaille dans un organisme d'aide aux Manitobains vivant avec des handicaps et devrait bientôt entreprendre une formation pour devenir gardien de sécurité. À la suite de cela, Razak Iyal souhaite que sa femme puisse venir le rejoindre à Winnipeg.

Quand quelqu'un lui demande si la traversée dans la neige en valait la peine, M. Iyal répond que c'est à Winnipeg qu'il a enfin trouvé un chez-soi.

« C'est là où je me suis trouvé », précise-t-il.

« C'est ici que j'ai trouvé de bonnes personnes autour de moi. C'est ici que j'ai trouvé une nouvelle communauté, une nouvelle ville et une nouvelle province. »

« Ici, c'est ma maison. C'est ici que je veux vivre le reste de ma vie avec ma famille. »