L'ex-diplomate canadien Michael Kovrig, arrêté lundi à Pékin, est sans doute devenu un « pion » dans une querelle mêlant Canada, États-Unis et Chine, selon un scénario qui n'est pas inédit, dénoncent des proches.

M. Kovrig a été interpellé neuf jours après que le Canada eut arrêté la directrice financière du géant chinois des télécoms Huawei, Meng Wanzhou, à la demande des États-Unis, qui l'accusent d'une fraude visant à contourner les sanctions américaines contre l'Iran.  

La Chine a prévenu à plusieurs reprises que le Canada s'exposait à de « graves conséquences » dans cette affaire.

Un deuxième ressortissant canadien affirme avoir été interrogé par les autorités chinoises, a indiqué mercredi la ministre canadienne des Affaires étrangères Chrystia Freeland, ajoutant, sans donner plus de précisions sur son identité, ne plus parvenir à le contacter depuis.

Ni Ottawa ni Pékin n'ont confirmé que l'arrestation de M. Kovrig, qui travaille désormais pour le centre de réflexion International Crisis Group (ICG), était la « conséquence » de l'affaire Meng Wanzhou. Mais des proches du Canadien en sont convaincus : les deux affaires sont liées.

« Il est clair que le gouvernement chinois veut mettre le maximum de pression sur le gouvernement canadien », estime Guy Saint-Jacques, un ancien ambassadeur du Canada en Chine, avec lequel M. Kovrig a travaillé.

Auprès de l'AFP, M. Saint-Jacques souligne un cas similaire, survenu en 2014. Deux employés canadiens d'une ONG chrétienne,  Kevin et Julia Garratt, avaient été arrêtés, peu après l'interpellation au Canada d'un ressortissant chinois recherché aux États-Unis dans une affaire de piratage.

« Victime »

Julia Garratt, libérée sous caution, avait pu partir de Chine en 2016. Kevin Garratt pour sa part avait été accusé d'espionnage, mais la Chine lui avait aussi permis de quitter son territoire en 2016, quelques mois après que le citoyen chinois, Su Bin, eut accepté de se rendre aux États-Unis et plaidé coupable.

En ce qui concerne M. Kovrig, les autorités chinoises n'ont pas encore indiqué quelles accusations éventuelles pesaient à son encontre. Mais le Beijing News, un journal de la capitale, a affirmé qu'il faisait l'objet d'une enquête, « soupçonné d'activités qui mettent en danger la sécurité nationale de la Chine », une formulation souvent utilisée dans les accusations d'espionnage.

Ottawa est aujourd'hui à nouveau pris en étau entre Washington et Pékin dont les points de contentieux sont nombreux, qu'il s'agisse de leur guerre commerciale ou de cyberespionnage. Et M. Kovrig va être une « victime » de ces querelles, pour M. Saint-Jacques.

« La Chine entend montrer qu'elle est une superpuissance rivale des États-Unis et que les pays doivent choisir s'ils s'alignent à ses côtés ou du côté des États-Unis », renchérit Shaun Rein, spécialiste de la Chine.  

« L'ancien diplomate canadien est un pion et va rester coincé sauf si (Meng Wanzhou) est relâchée », ajoute-t-il.

Un juge de Vancouver a ordonné mardi la libération sous caution de Meng Wanzhoug, selon des conditions strictes : caution de 10 millions de dollars (6,5 millions d'euros), bracelet électronique...

L'arrestation de Mme Meng a eu lieu le jour même où les présidents américain et chinois convenaient d'une trêve dans leur guerre commerciale, à Buenos Aires.

Arrêter un Canadien, « c'est un avantage : le Congrès américain ne va pas s'agiter et crier ; les négociations commerciales peuvent se poursuivre, car la Chine adhère toujours à l'accord conclu lors du G20 avec Trump », souligne M. Rein.  

L'ONG pas enregistrée

Michael Kovrig était basé à Hong Kong pour ICG, travaillant notamment sur des questions de politique étrangère et de sécurité dans la région, en particulier dans la péninsule coréenne.  

Mais ICG a fermé son bureau dans la capitale chinoise après que Pékin eut adopté une loi sur les ONG, entrée en vigueur en 2017, visant à mieux contrôler les activités sur son sol des organisations étrangères.

Un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lu Kang, a souligné mercredi qu'ICG n'était pas enregistré en Chine et que ses employés seraient « en violation » de la loi s'ils avaient des activités dans le pays.  

L'ancien diplomate, qui s'était mis en congé sans solde pour pouvoir revenir en Chine selon ses proches, est décrit par ses amis comme un homme honnête et sympathique.

« Ils ont leur otage et on espère qu'ils vont le relâcher vite », conclut son ami David Zweig, professeur de politique chinoise à l'université de Sciences et technologie de Hong Kong.