Ça y est : après moult remous et un grand questionnement social, le cannabis récréatif est officiellement légal ce mercredi au Canada et les amateurs n'étaient pas en retard pour ce rendez-vous historique.

À Montréal, le premier client s'est mis en file à 3 h 30 devant la succursale de la Société québécoise du cannabis (SQDC) de la rue Saint-Hubert, et plus de 250 personnes - en très grande majorité des hommes - lui tenaient compagnie vers 9 h 30, alors que le Service de police de la Ville de Montréal dégageait les trottoirs. Un premier groupe de quinze personnes a été admis à l'ouverture des portes à 10 h sous les applaudissements.

Premier dans la file, Steeve, y était aussi tôt pour « vivre l'événement historique ». Il se réjouit de pouvoir enfin acheter des produits dont il connaîtra la puissance exacte. « C'est bien, les gens vont pouvoir trouver des produits qui leur conviennent sans risquer de partir en panique ou de virer paranos parce que c'est trop fort », commentait-il en attendant que la succursale ouvre ses portes.

Récemment opéré à l'épaule, Steeve disait espérer trouver en boutique un produit à forte teneur en CBD qui soulagera ses douleurs sans qu'il ait à prendre de morphine. « Je vais aussi en acheter un peu pour le plaisir », admettait-il, un sourire en coin.

Peu après l'ouverture, il est ressorti plus tard, brandissant ses deux boîtes, applaudi par les autres clients en ligne.

Jacques, un homme de 74 ans, qui consomme du pot depuis 54 ans, a confié « être curieux » et y être pour « acheter quelque chose de pas trop fort, juste pour le plaisir ». 

Tout juste après lui attendaient patiemment Thomas et Juliette, deux jeunes de 18 ans : « Ce que veut faire François Legault en montant l'âge légal à 21 ans est complètement stupide. J'ai déjà mon pusher, je vais continuer à aller sur le marché noir si je ne peux pas acheter ici. Ici, au moins, les produits sont fiables. On va connaître le pourcentage de THC. C'est un immense avantage », disait Thomas, avant de pouvoir s'engouffrer dans la boutique. 

À la succursale de la rue Sainte-Catherine, l'ambiance était aussi à la fête. Denis, un homme de 68 ans qui avait pris quelques volutes offertes par une personne dans la file d'attente, dansait sur le trottoir sur le rythme de la musique crachée par son téléphone.

Une équipe de télévision du réseau américain NBC était sur place pour réaliser une couverture en direct. 

« C'est l'histoire qui est en train de s'écrire. C'est plus significatif qu'un lancement de iPhone devant un magasin Apple », estimait quant à lui Tonino Kuggerio, un client de 64 ans qui disait avoir 30 $ en poche à dépenser au magasin de la Plaza St-Hubert. « Je ne sais pas trop ce que je vais acheter, mais je vais faire comme à la SAQ, je vais demander conseil. C'est génial ! Ils vont me répondre ». 

« On est le premier pays du G7 qui ose faire une telle chose. Pour moi, tout ça démontre que Justin Trudeau est vraiment un homme de son temps », ajoute M. Kuggerio.

Achat en ligne

À Québec, une centaine de personnes, principalement des jeunes hommes, bravaient la pluie et le froid à la porte de la succursale du boulevard Lebourgneuf ; certains ont dit avoir pris congé pour l'occasion. Des effluves de cannabis flottaient sur la foule, bien avant l'ouverture de la succursale. À l'ouverture des portes à 10 h, un client a crié « vive le Québec libre ! », au moment où un groupe d'environ 20 personnes était admis.

« Quand ça fait 50 ans que tu te caches pour acheter et que là c'est légal, c'est un gros changement, a dit son homologue à Québec, André St-Gelais, un homme de 66 ans. La qualité est contrôlée. [...] Quand tu vas chez ton "pusher", tu ne sais pas exactement ce que tu as. »

Un autre client, Olivier Ferro, a tenu à être présent pour l'occasion, même s'il n'écarte pas l'idée d'acheter éventuellement du cannabis via le portail web de la SQDC.

« C'est bien fait. On a acheté un peu de tout, un peu de chaque catégorie, pour voir ce que ça va donner. Les conseillers ont l'air très bien formés, on voit qu'ils savent très bien de quoi ils parlent. C'est bien géré. On pensait que ça allait prendre beaucoup de temps, mais le service est très rapide », a confié ce dernier à sa sortie de la boutique, après avoir fait l'achat de différents produits, dont des fleurs de cannabis, gélules et joints préroulés.

Des craintes demeurent

La date du 17 octobre 2018 marquera l'histoire du pays, mais certaines craintes demeurent. Et surtout, malgré la légalisation, pas question d'acheter du cannabis de n'importe qui ni de le consommer partout et en toutes circonstances.

C'est une loi fédérale qui l'a rendu légal, tout en imposant certaines mesures reliées à la production et en établissant des interdictions criminelles. Mais d'autres aspects vont varier selon les provinces, qui ont été responsables d'adopter les mesures législatives nécessaires. Ainsi, le Québec a adopté sa propre loi pour encadrer la vente et la consommation du cannabis.

À compter de ce mercredi, une personne aura le droit de transporter jusqu'à 30 grammes de cannabis sur elle, et de posséder 150 grammes dans une résidence privée, sans être inquiétée par les forces policières.

Au Québec, il faudra avoir au moins 18 ans pour en consommer, comme en Alberta. Toutes les autres provinces ont plutôt choisi un âge minimum de 19 ans. Cela pourrait toutefois changer dans la Belle Province, la Coalition avenir Québec ayant affirmé à plusieurs reprises son intention de repousser l'âge à 21 ans.

Sur le territoire québécois, le cannabis ne pourra être acheté qu'à un seul endroit : dans les succursales de la Société québécoise du cannabis (SQDC). Une douzaine de magasins ont ouvert mercredi matin. Le cannabis sera vendu sous plusieurs formes : fleurs séchées ou moulues, fioles d'huile, atomiseurs oraux, pilules et joints déjà roulés. Les aliments contenant du cannabis ne sont pas permis pour le moment.

Et partout au Québec, l'achat en ligne est maintenant possible.

La SQDC offrira pour le moment 110 produits de cannabis. Le gramme se vendra à partir de 5,25 $, taxes incluses.

Il ne sera pas possible de cultiver son propre cannabis à la maison au Québec, même si le gouvernement fédéral donne la possibilité de faire pousser jusqu'à quatre plants par résidence. Le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, par exemple, permettent jusqu'à quatre plants.

Sur les routes québécoises, il demeure interdit de conduire avec les facultés affaiblies par le cannabis, comme par toute autre drogue. Le permis d'un contrevenant peut être suspendu sur-le-champ, pour une durée de 90 jours, et son véhicule peut aussi être saisi.

Quelques casse-tête

Et alors que la loi du Québec interdit la consommation de cannabis aux mêmes endroits que le tabac - il sera donc permis de fumer dans la rue, mais pas dans les commerces, bars et restaurants, pas plus que sur les terrains des cégeps et des universités, entre autres - plusieurs municipalités ont légiféré pour l'interdire dans tous les endroits publics extérieurs, au même titre que l'alcool. Les interdictions vont donc varier d'une municipalité à l'autre.

Au Québec, des propriétaires de logements et des syndicats de condominiums ont aussi décidé d'en prohiber la consommation à l'intérieur des logis.

De nombreux employeurs se demandent comment s'assurer que leurs employés n'arrivent pas au travail sous l'influence du cannabis. Alors que certains se contenteront de leur dire d'être sobres au boulot, d'autres vont plus loin. Par exemple, la GRC obligera ses policiers à s'abstenir de consommer du cannabis 28 jours avant tout quart de travail.

- Avec La Presse Canadienne

Patrick Sanfaçon, La Presse

Des clients attendaient l'ouverture de la succurcale de la SDCQ sur la rue Sainte-Catherine Ouest.

Martin Chamberland, La Presse

Jean-François Bouchard fume un joint devant la SQDC de Saint-Jean-sur-Richelieu.