Alors que les grutiers poursuivent leur combat pour empêcher des ouvriers non spécialisés de manoeuvrer des camions-flèches, un accident mortel impliquant un de ces appareils en Gaspésie relance le débat sur la formation de ces travailleurs. La coroner Andrée Kronström avait déjà émis des recommandations à la suite de trois événements semblables.

L'accident est survenu à La Rédemption, au sud de Mont-Joli, mercredi matin, lorsque le mât du camion-flèche a touché un fil électrique à haute tension pendant une opération de déchargement de bardeaux sur le toit d'une résidence en rénovation.

Le travailleur qui était aux commandes est mort par électrocution et son camion-flèche a pris feu, indique la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), qui a ouvert une enquête. 

« On va rencontrer l'employeur pour s'assurer que le travailleur avait un minimum de formation et de connaissances. » - Maxime Boucher, porte-parole de la CNESST

Tout porte à croire que le travailleur, employé d'une quincaillerie Home Hardware, n'avait pas de cartes de compétence de grutier. La Commission de la construction du Québec (CCQ) considère que les opérateurs de ce type de grue qui ne font que livrer du matériel, comme c'était apparemment le cas de ce travailleur, ne sont pas assujettis aux mêmes règlements que les grutiers qui font de la manutention et de la pose d'équipement sur des chantiers de construction. « Nous n'avons pas le pouvoir d'intervenir dans un cas comme celui-là, ce n'est pas de notre juridiction », assure la porte-parole Mélanie Malenfant.

RAPPORT SUR TROIS ÉLECTROCUTIONS

Un rapport d'investigation publié en 2007 par la coroner Andrée Kronström rapporte qu'au moins trois électrocutions de travailleurs impliquant des camion-flèches ont eu lieu depuis le début des années 2000. La coroner déplore dans un cas le « manque de compétence et de connaissances » d'un des travailleurs électrocutés et souligne que l'ouvrier « n'avait pas reçu la formation adéquate concernant la santé et la sécurité générale sur les chantiers », notamment en ce qui a trait aux travaux près de lignes haute tension.

Dans les deux autres cas évoqués, elle note que « les employés n'étaient pas suffisamment renseignés sur les dangers de travailler à proximité des lignes électriques » et n'ont pas respecté la règle de dégagement de 3 mètres d'une ligne à haute tension. Elle recommande à la CSST (maintenant devenue la CNESST) de « réfléchir à la nécessité de rendre obligatoire le cours de sécurité générale sur les chantiers de construction à tous les commerces qui vendent et livrent des matériaux de construction ».

RÈGLEMENT VIVEMENT CONTESTÉ

L'accident survient alors que les deux principaux syndicats de grutiers s'opposent vigoureusement à un règlement de la CCQ entré en vigueur en mai dernier, qui permet à des ouvriers non spécialisés d'apprendre à manoeuvrer des camions-flèches au terme d'un cours de 80 heures et de plusieurs heures de supervision, sans passer par une formation professionnelle obligatoire de 870 heures (DEP).

Même si le nouveau règlement de la CCQ ne vise pas les livreurs de matériaux qui se servent de camions-flèches, les grutiers y voient une démonstration des risques liés au fait que des opérateurs moins qualifiés puissent se servir de tels engins.

Tout en déplorant la mort d'un travailleur, la CCQ affirme qu'elle a justement modifié son règlement afin d'améliorer la formation de couvreurs et de vitriers qui utilisent des camions-flèches semblables. « Nous n'avons jamais nié que l'utilisation d'une grue peut être dangereuse. La réalité, c'est que les couvreurs opèrent depuis des années des camions-flèches pour des tâches que les grutiers ne veulent pas faire, et ils n'avaient pas toute la formation nécessaire. Le nouveau règlement vise justement à régler ce problème », affirme Mélanie Malenfant.

Jeudi, la ministre de l'Emploi, du Travail et de la Solidarité sociale, Dominique Vien, a rencontré la FTQ et son syndicat de grutiers (section locale 791G) pour discuter de mesures de sécurité entourant le nouveau règlement de la CCQ. La rencontre avait été convenue à la suite de la grève illégale des grutiers déclenchée en juin dernier, qui a paralysé plusieurs chantiers d'envergure, dont celui du pont Champlain.