La pêche à la crevette commence aujourd'hui dans le golfe du Saint-Laurent. Et elle débute dans la tourmente : la chute des stocks de crevettes a mené à une baisse draconienne des quotas pour les pêcheurs.

« Il n'y a rien de favorable pour la crevette en ce moment : l'eau se réchauffe, le sébaste est revenu et on voit moins de jeunes crevettes », explique le biologiste Hugo Bourdages, de Pêches et Océans Canada.

En 2010, les débarquements de crevettes nordiques ont atteint 35 000 tonnes. Depuis, ils diminuent. Et rien n'indique que la situation pourrait changer. « Depuis deux ans, on voit que cette tendance à la baisse est accentuée, dit Hugo Bourdages. Tout le monde le voit. Et ce n'est pas l'effet de la pêche. »

Pour certains pêcheurs, la chute est néanmoins brutale : dans l'estuaire du golfe, c'est une réduction de 74 % des droits de pêche aux crevettes, par rapport à la saison dernière. Dans la région de Sept-Îles, la baisse atteint 60 % et elle est de 15 % à Anticosti et Esquiman.

« On ne peut pas se mettre la tête dans le sable, c'est sûr que la ressource est moins abondante qu'il y a quatre ans. Mais l'ampleur [des réductions] a surpris beaucoup de monde », confie Patrice Element, directeur de l'Office des pêcheurs de crevettes du Grand Gaspé. « Ça va être une année difficile pour l'ensemble de l'industrie. Pour les usines, ça veut dire moins de semaines de travail », poursuit le pêcheur.

À l'autre bout de la chaîne, les amateurs peuvent s'attendre à payer plus cher leurs crevettes d'ici. Mais au-delà du prix, cela révèle qu'il se passe beaucoup de choses dans les eaux du Saint-Laurent. « L'écosystème du golfe est en profonde mutation. Aucun stock n'est stable. C'est important et c'est lié aux changements climatiques », affirme Patrice Element.

150 m

C'est à cette profondeur qu'on commence à trouver de la crevette dans le golfe du Saint-Laurent et jusqu'à 300 m. Malheureusement pour notre petite crevette, le sébaste s'y trouve aussi. Et il a faim.

ÉQUILIBRE

Dans le fond du fleuve, les espèces marines se côtoient dans un équilibre précaire : l'augmentation d'une espèce a un impact sur une autre. Sur la terre ferme, c'est un autre équilibre qui est visé : celui entre la pêche et la préservation des ressources marines. Pêches et Océans Canada gère l'un et l'autre. Ses biologistes donnent des avis scientifiques et la branche réglementaire du Ministère décide ensuite des quotas de pêche, selon les espèces.

ESPÉRANCE DE VIE

• Crevette:  6 à 8 ans

• Sébaste: plus de 50 ans

RÉCHAUFFEMENT DE L'EAU

Le réchauffement des eaux profondes a un impact majeur sur la faune marine du golfe. Si la crevette et le flétan du Groenland sont les perdants, le sébaste en profite. Les stocks se sont effondrés au début des années 90 en raison de la surpêche et le sébaste de l'Atlantique a été classé espèce en voie de disparition en 2010. Preuve que la mer nous réserve parfois des surprises : c'est maintenant l'espèce la plus abondante du golfe du Saint-Laurent.

2,5 MILLIONS

Il y a actuellement 2,5 millions de tonnes de sébaste dans le golfe du Saint-Laurent. C'est du jamais vu. Le sébaste est un poisson rouge aux gros yeux et à la chair blanche et ferme.

UNE PÊCHE AU SÉBASTE ?

Des scientifiques de Pêches et Océans Canada étaient réunis à Montréal la semaine dernière afin d'établir un scénario de pêche qui pourrait être mis en place déjà cette année. Le hic, c'est que l'industrie devra s'ajuster. Les crevettiers pourraient se lancer rapidement dans la pêche au sébaste, leurs embarcations pouvant être aisément adaptées. Par contre, explique Patrice Elément, directeur de l'Office des pêcheurs de crevettes du Grand Gaspé, les usines de transformation auraient besoin d'ajustements plus substantiels et de main-d'oeuvre. De plus, c'est bien beau de le pêcher, il faudra ensuite qu'il soit mangé ! Or, les consommateurs ne connaissent pas bien cette espèce. « Il faudrait que Ricardo fasse une émission sur le sébaste ! », lance le biologiste Hugo Bourdages.

22 cm

Cet été, la moitié des sébastes atteindront 22 cm, la taille minimale pour qu'il soit pêché.

ET LA MORUE ?

Son retour est moins foudroyant que celui du sébaste, c'est le moins qu'on puisse dire. Dans le secteur sud du golfe, en Gaspésie et aux îles de la Madeleine, les stocks sont toujours aussi faibles, les phoques ne laissant pas de chance à la morue. Plus au nord, sur la Côte-Nord et sur la côte ouest de Terre-Neuve, la situation est différente. « C'est plus profond, donc la morue a plus de refuges », explique le biologiste Hugo Bourdages.

LES QUOTAS POUR LA PÊCHE À LA MORUE SONT PASSÉS DE 1500 TONNES EN 2016 À 3000 TONNES EN 2017 ET 2018.

HOMARD EN HAUSSE

Apparemment, le homard nage bien dans ces eaux troubles : les quantités de homard pêchées au Québec atteignent des sommets historiques depuis deux ans. « Les débarquements ont augmenté pratiquement partout au Québec », confirme le biologiste Benoit Bruneau, de l'Institut Maurice-Lamontagne de Mont-Joli. Contrairement à la pêche à la crevette et au crabe des neiges, celle au homard ne se détermine pas par quotas. Les pêcheurs ont des dates de pêche et des quantités de casiers. Ensuite, ils pêchent ce qu'ils peuvent ! « Ce qui ressort de l'eau va être proportionnel à ce qu'il y a au fond », dit le biologiste Benoit Bruneau.

600 %

C'est sur la Côte-Nord où, proportionnellement, la hausse est la plus spectaculaire : 600 % d'augmentation de homards capturés en un an !

82 mm

C'est la taille minimale pour pêcher un homard au Québec, depuis quelques années. Et il n'est pas question de permettre de capturer des homards plus petits, maintenant qu'il y en a tant.

SAISON DEVANCÉE POUR LE CRABE

En raison de la mortalité des baleines noires dans le golfe l'année dernière, la saison de pêche au crabe des neiges a été devancée, afin d'éviter que les mammifères ne se prennent dans des engins de pêche. Par ailleurs, le ministre Dominic LeBlanc a confirmé mercredi matin que son ministère pourrait fermer temporairement la pêche au crabe dans certains secteurs, si on y apercevait des baleines noires.

8 À 10 ANS

Les stocks du crabe des neiges sont beaucoup plus cycliques. Un cycle dure de huit à dix ans. Par exemple, à Sept-Îles et en Basse-Côte-Nord, la quantité de crabe des neiges se trouve en phase descendante. Pour l'instant, les scientifiques n'ont pas identifié d'effets ni positifs ni négatifs des changements de la température de l'eau sur le crabe québécois qui suit son cycle naturel. « Par contre, à Anticosti, il y a des réchauffements. On va regarder pour voir si ça peut avoir des effets », explique le biologiste Cédric Juillet de l'Institut Maurice-Lamontagne de Pêches et Océans Canada.

PÊCHÉS AU QUÉBEC EN 2017

CRABE DES NEIGES 

19 502 TONNES soit une valeur de 200 millions

HOMARD 

7628 TONNES soit une valeur de 116 millions

CREVETTE NORDIQUE 

11 698 TONNES soit une valeur de 28 millions

TURBOT (FLÉTAN DU GROENLAND) 

1514 TONNES soit une valeur de 6 millions

MORUE

498 TONNES soit une valeur de 831 500 $