Depuis deux ans, des centaines d'entreprises soumissionnent et obtiennent des millions de dollars en contrats sans qu'ait été renouvelée leur autorisation gouvernementale de contracter avec des organismes publics et des municipalités. Leur situation n'est tout simplement pas une priorité, affirme l'Unité permanente anticorruption (UPAC).

Cette autorisation constitue pourtant le sceau de probité des dirigeants d'entreprises devant assurer à la population qu'ils satisfont aux conditions prévues par la loi. C'est leur billet d'accès aux marchés publics, ce qui permet notamment aux firmes de génie et aux entrepreneurs en construction de brasser des affaires avec les ministères, les organismes gouvernementaux, les commissions scolaires et le monde municipal.

L'UPAC, qui est chargée d'effectuer les vérifications d'intégrité des entreprises (actionnaires, associés, administrateurs et dirigeants directs ou indirects), indique que 558 entreprises étaient en attente de renouvellement de leur autorisation, en date de lundi dernier. Certaines d'entre elles patientent même depuis deux ans parce que l'UPAC ne suffit pas à la tâche et ne parvient pas à faire les recommandations nécessaires pour que l'Autorité des marchés financiers (AMF) délivre les autorisations et les renouvellements.

Comme le grand patron de l'UPAC, Robert Lafrenière, le souligne dans son rapport au ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux, rendu public le mois dernier, les dossiers se sont accumulés et les délais de vérification se sont étirés, ce qui s'explique notamment, selon lui, par l'ampleur du mandat, le manque d'effectifs et des problèmes de gestion interne.

Du coup, l'UPAC a révisé ses priorités en collaboration avec l'AMF. Les impératifs commerciaux (les marchés publics au Québec totalisent 30 milliards de dollars, rappelle M. Lafrenière) sont maintenant en haut de la liste des priorités. C'est ce qui explique que des entreprises ont obtenu leur autorisation de l'AMF pendant que des centaines d'autres attendent d'obtenir un renouvellement comme le prévoit la loi.

« Ce n'est pas une priorité, mais on met les choses en place pour y parvenir », souligne Mathieu Delisle, de l'UPAC.

À l'AMF, on reconnaît que « la volonté derrière tout ce processus, ce n'est pas d'être un frein aux activités [commerciales] ». Frédéric Pérodeau, surintendant à l'assistance aux clientèles à l'AMF, souligne toutefois que « la volonté du législateur était de s'assurer que ces demandes-là [de renouvellement] soient traitées promptement ».

Prudent, il dit que l'AMF a le plein contrôle sur ses procédures, mais qu'il ignore l'état de la situation chez ses partenaires, dont l'UPAC. Chose certaine, assure M. Pérodeau, une fois l'avis favorable transmis par l'UPAC, « c'est une question de quelques heures avant qu'on soit en mesure d'émettre le renouvellement ».

CONTRACTER EN ATTENDANT

La situation dans laquelle se retrouvent les 558 entreprises concernées ne les empêche toutefois pas de se voir attribuer de lucratifs contrats publics. Les règles en vigueur font en sorte qu'elles sont présumées titulaires de l'autorisation tant que le processus de renouvellement est en cours. Et la loi ne prévoit pas d'échéance à ce processus.

Par exemple, les Entreprises Michaudville ont obtenu une accréditation en 2013 et en ont demandé le renouvellement 90 jours avant son expiration en 2016. Ce faisant, Michaudville peut continuer à soumissionner des contrats sans que l'UPAC ait vérifié s'il y a eu des changements au sein de l'entreprise qui pourraient soulever des questions, par exemple.

Michaudville est le deuxième fournisseur en importance de la Ville de Montréal, avec 156 millions en paiements pour des travaux d'infrastructures, de novembre 2013 à octobre 2017. Michaudville vient d'obtenir un contrat de 11 millions notamment pour des travaux d'égout et de conduites d'eau.

L'entreprise Demix, qui occupe la troisième place parmi tous les entrepreneurs montréalais, a décroché des contrats pour une valeur de 118 millions pour la même période. Lors de l'assemblée du conseil municipal de Montréal de cette semaine, un contrat de voirie d'une valeur de 4,9 millions lui a été attribué. Demix attend le renouvellement de son autorisation gouvernementale depuis près de deux ans.

ÉVITER LA CRISE DE CONFIANCE

La Ville de Montréal estime ne pas disposer d'une « latitude en matière d'octroi de contrats », la seule exigence étant que l'entreprise fasse la preuve qu'elle a présenté une demande de renouvellement auprès de l'AMF.

De son côté, le chef de l'opposition officielle à l'hôtel de ville, le conseiller municipal Lionel Perez, croit que Montréal doit se préoccuper de la situation qui pourrait ébranler « le système mis en place pour combattre la collusion et la corruption ». « On voulait que les entreprises montrent patte blanche. On voulait une vérification sur les dirigeants. Lorsque l'on voit un retard de presque deux ans, c'est préoccupant parce qu'on continue de donner des contrats à ces entreprises, a-t-il commenté. On ne peut pas prendre le risque que cela devienne un enjeu, une problématique. Et on ne peut pas replonger dans une crise de confiance du public dans la gouvernance des contrats. »

La Ville de Longueuil adopte une position différente de celle de Montréal. « Notre pratique est qu'une entreprise en état de renouvellement n'obtiendra pas le contrat », a soutenu hier le porte-parole Louis-Pascal Cyr. Le scénario ne s'est toutefois pas produit jusqu'à maintenant puisque les entreprises qui soumissionnent des contrats à Longueuil n'ont pas à détenir une autorisation si la valeur des contrats de construction ne dépasse pas 5 millions ou 1 million pour des services professionnels. À Montréal, le seuil se situe à 100 000 $.

COUP D'OEIL À LA LOI SUR L'INTÉGRITÉ EN MATIÈRE DE CONTRATS PUBLICS

Alors que la commission Charbonneau battait son plein, le gouvernement du Parti québécois a voulu renforcer la confiance de la population à l'égard des processus d'attribution des contrats publics. Ainsi, la Loi sur l'intégrité en matière de contrats publics était adoptée en décembre 2012. Depuis, toute entreprise désireuse de contracter avec un organisme public ou une municipalité doit démontrer que ses dirigeants sont intègres.