Un regroupement d'églises évangéliques qui parrainent des réfugiés syriens au Canada réfère ses membres à des sites Internet qui cherchent à convertir les musulmans au christianisme.

Cela soulève d'importantes questions sur la possibilité que certaines églises puissent considérer l'idée de parrainer des réfugiés - déjà placés en situation de vulnérabilité - comme une occasion de faire du prosélytisme.

L'Alliance évangélique du Canada (AÉC) chapeaute 15 des 104 signataires d'ententes de parrainage (SEP) avec le gouvernement fédéral, ces organismes qui parrainent ou aident d'autres groupes à parrainer les réfugiés syriens.

Dans une section questions-réponses destinée à aider les congrégations religieuses qui souhaitent accueillir des réfugiés, on peut lire «si vous parrainez des musulmans, vous pourrez trouver utile d'entrer en contact avec le Fellowship of Faith for the Muslims», assorti d'un lien vers cet organisme.

Or, ce groupe a comme mission d'aider les chrétiens à «partager l'Évangile avec les musulmans». «Fellowship of Faith for the Muslims veut vous aider à prier et travailler pour le salut des musulmans partout, incluant celui habitant à la porte d'à côté», lit-on sur le site de ce regroupement.

L'Alliance propose par ailleurs d'envoyer un courriel au «Canadian Network of Ministries to Muslims», un organisme qui, selon son site Web, vise «à mobiliser et équiper les églises canadiennes pour qu'elles aident les musulmans du Canada à devenir des disciples de Jésus Christ».

On met également en ligne un «guide d'action» portant sur le rôle des églises dans l'installation et l'intégration des immigrants préparé par plusieurs congrégations. On y écrit que «les réfugiés qui arrivent au Canada peuvent provenir de pays qui ne permettent pas l'Évangile, alors il s'agit d'une occasion extraordinaire pour nos églises d'amener la Bonne Nouvelle à ces nouveaux venus».

Jointe au téléphone, la porte-parole de l'Alliance évangélique du Canada, Anita Levesque, assure que ce n'est pas le prosélytisme qui guide les actions du regroupement dans l'accueil des réfugiés syriens, mais simplement le désir d'aider son prochain.

«Notre intention est avant toute chose d'aider les réfugiés, aider ceux qui sont affectés, déplacés, alors que leur vie est littéralement en danger s'ils restent en Syrie», explique-t-elle en entrevue.

Elle indique que si des réfugiés musulmans sont curieux à l'égard du christianisme, l'Alliance «ne décourage évidemment pas» les parrains à aborder la question avec eux. «Que cela arrive ou pas, cela ne fait pas partie des raisons pour lesquelles nous le faisons (accueillir les réfugiés)», insiste-t-elle.

Quant aux liens vers des groupes qui prônent le prosélytisme, ce n'est «qu'une référence pour en apprendre davantage sur eux», ajoute-t-elle.

Groupes vulnérables

Selon la directrice du Conseil canadien pour les réfugiés, Janet Dench, les parrains doivent être conscients de la vulnérabilité dans laquelle sont placés les nouveaux arrivants, afin d'éviter de profiter de la situation.

«Un réfugié peut penser que le fait de continuer de recevoir les services va dépendre de comment il répond aux demandes faites par le groupe de parrainage», illustre Mme Dench.

«Pour nous et pour la grosse majorité des groupes de parrainage, nous trouvons que c'est complètement inacceptable de mettre quelque pression que ce soit», tranche-t-elle.

Le code d'éthique destiné aux groupes impliqués dans le parrainage collectif du Conseil canadien pour les réfugiés comprend d'ailleurs une clause qui demande le respect du «droit des personnes parrainées de prendre des décisions concernant les questions de foi et d'appartenance religieuse».

Mme Dench note toutefois qu'aucune situation où des parrains exerçant une pression religieuse sur un réfugié syrien au Canada n'est venue à ses oreilles.

En Allemagne, des médias ont rapporté des centaines de conversions de réfugiés syriens musulmans vers le christianisme depuis leur arrivée massive en raison de la guerre. Plusieurs ont soulevé l'hypothèse que ces conversions soient d'abord motivées par la croyance des réfugiés qu'ils maximisaient ainsi leurs chances de rester en Europe.

Frédéric Dejean, chercheur à l'Institut de recherche sur l'intégration professionnelle des immigrants (IRIPI), entame justement une étude sur le rôle des églises chrétiennes dans l'intégration des immigrants et des réfugiés.

Le sujet est «extrêmement délicat», note-t-il, notamment parce que la question de la conversion - toutes religions confondues - est sensible, mais aussi parce que les gens n'avoueront pas d'emblée qu'ils exercent des pressions dans ce sens, si c'est le cas.

Jusqu'à présent, rien ne lui permet de conclure dans ses recherches qu'il y ait une logique de conversion dans l'action des églises sur le terrain. «En même temps, il ne faut quand même pas être complètement naïf: si certaines églises évangéliques veulent accueillir des réfugiés syriens, probablement, ou très certainement, certaines d'entre elles ont pour idée de les convertir», nuance-t-il.

Frédéric Castel, du département de Sciences des religions de l'UQAM, estime qu'on peut présumer que la main tendue des églises vers les réfugiés est d'abord guidée par «l'esprit chrétien», qui commande d'aider les gens qui souffrent.

«Cela dit, au-delà de cet élan et de ce principe, il est certain que plusieurs individus et groupes ont des attentes en matière de conversions (...). Il est raisonnable de penser que beaucoup d'individus nourrissent au fond d'eux-mêmes de telles attentes. C'est humain et propre à la plupart des religions», fait-il valoir.

Résistance d'églises

À la Convention of Atlantic Baptist Church qui regroupe plus de 400 églises dans l'Est du pays (aussi affiliée à l'Alliance évangélique du Canada), on a accueilli ou est en voie d'accueillir une soixantaine de familles de réfugiés syriens.

Paul Carline, qui s'occupe du dossier au sein du regroupement, affirme toujours insister auprès des familles qui accueillent des réfugiés d'une autre appartenance religieuse pour qu'elles s'abstiennent de «mettre de la pression» pour les inciter à joindre leur église.

Il indique avoir rencontré de la résistance de la part de quelques églises, qui se demandaient pourquoi on ne leur conseillait pas de tenter de convaincre les réfugiés d'adhérer à leur foi. Il a dû leur expliquer que les réfugiés, placés dans un rapport de force déséquilibré, pouvaient se sentir redevables et donc contraints de suivre les parrains dans leur religion. Même une invitation de la part des parrains à les accompagner à l'église peut être mal interprétée, souligne-t-il.

Si certaines familles de réfugiés syriens accueillis assistent bel et bien à la messe avec leurs parrains, M. Carline assure qu'il s'agit là de «leur propre initiative».

«Je pense que c'est un sujet éthique et qu'il faut être prudent», dit-il. Il indique ne pas être nécessairement «contre» le fait que certaines églises tentent de rallier les réfugiés à leur foi, mais lui n'a pas choisi cette voie.

Le ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, John McCallum, n'était pas disponible pour une entrevue sur le sujet. À son ministère, on affirme que «la loi canadienne exige qu'on respecte les personnes qui n'ont pas la même religion que vous. Personne ne vous demandera de changer de religion ni ne vous forcera à le faire.»