Le blâme jeté sur la Ville de Carignan en février dernier par le commissaire aux plaintes du ministère des Affaires municipales avait été approuvé par le Ministère, avant que le commissaire ne se rétracte et ferme le dossier.

Des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information montrent en effet que la lettre envoyée le 15 février à Carignan par le commissaire Richard Villeneuve avait été « validée » par le ministère des Affaires municipales et de l'Occupation du territoire (MAMOT).

Les documents montrent également que l'analyse du dossier avait été menée conjointement par un conseiller en aménagement du MAMOT et le directeur par intérim de la direction des affaires métropolitaines, Nicolas Froger.

Rappelons que le 15 février dernier, le commissaire a informé la Ville de Carignan qu'elle n'avait pas suivi la procédure normale pour modifier son règlement d'urbanisme et qu'elle pourrait être blâmée par les tribunaux pour avoir tenté de contourner la loi en évitant de consulter ses citoyens afin de faire approuver un important projet immobilier estimé à 270 millions de dollars dans une partie du golf Le Riviera. Il invitait la municipalité à consulter son conseiller juridique.

Une lettre similaire avait aussi été envoyée pour informer les plaignants, deux citoyens de Carignan qui avaient porté plainte au commissaire en mars 2013.

Or, les deux lettres avaient été validées par le Ministère avant d'être relayées au commissaire Villeneuve.

« Tu peux passer le dossier à Richard [Villeneuve, le commissaire aux plaintes], on ne change rien dans les lettres! », écrit une fonctionnaire à David Dusseault, chef d'équipe au MAMOT, le 27 janvier 2016. La note indique que les lettres ont été validées par la DAM (direction des affaires métropolitaines) et un autre intervenant, dont le nom est caviardé.

Le 29 février, le commissaire s'est finalement rétracté et a fermé le dossier sans donner d'explication. Devant ce revirement, les citoyens ont annoncé vouloir porter l'affaire devant le Protecteur du citoyen.

Une démarche qui soulève des questions

En entrevue avec La Presse en mars dernier, le directeur général de Carignan, Alain Cousson, avait affirmé que le commissaire Villeneuve avait fait une « mauvaise analyse du dossier ». « Après la première lettre du commissaire, notre procureur, Me Paul Adam, est entré en contact avec Nicolas Froger. Celui-ci a rapidement compris la mauvaise compréhension du dossier par le bureau du commissaire. »

Entre le 19 et le 25 février 2016, Nicolas Froger est entré en contact à quatre reprises avec l'avocat de Carignan. Un document intitulé « Suivi des correspondances » précise que « les discussions avec l'avocat ont permis de clore le dossier et de préparer les lettres envoyées le 29 février 2016 ». Le paragraphe où M. Froger explique notamment sa compréhension du dossier à Me Adam a été caviardé.

L'analyse de la plainte citoyenne semble pourtant avoir été traitée avec beaucoup de sérieux au MAMOT. Nicolas Froger a cosigné au moins deux notes destinées au commissaire. Dans l'une de ces notes, il évaluait que « dans l'ensemble, la démarche entreprise par la Ville de Carignan, afin de permettre le développement d'une partie du golf Le Riviera, comporte son lot de questionnement ».

Il signale aussi qu'« il y a bel et bien une composante commune dans les trois séquences de modification règlementaire entamées par la Ville de Carignan, soit la volonté de permettre le développement d'une partie du golf Le Riviera ». On note aussi « qu'il s'agit en moins de cinq mois du deuxième retrait de procédures règlementaires visant en partie les mêmes objets, soit permettre le développement d'une partie du golf Le Riviera ».

Des versions contradictoires

Dans sa première analyse, le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l'Occupation du territoire (MAMROT) note que, selon la Ville de Carignan, c'est à la demande de la MRC de la Vallée-du-Richelieu que le processus d'adoption des règlements autorisant un projet immobilier dans le golf Le Riviera a été interrompu. La MRC aurait demandé à Carignan une modification réglementaire afin d'être conforme à tous les éléments du schéma d'aménagement de la MRC. « La MRC se prononce par résolution et, à la lecture des procès-verbaux de l'année 2012, nous n'avons trouvé aucune résolution qui demande à la Ville de Carignan de retirer les règlements 241-6 et 243-86 », précise Ariane Levasseur, agente de communication. Dans une réponse envoyée à Carignan le 8 juin 2012, la MRC rappelle d'ailleurs à la Ville qu'elle pourrait adopter un règlement « qui ne comporte pas tous les aspects de la concordance, auquel cas, il pourrait être approuvé et entrer en vigueur s'il est conforme, sans pour autant établir la concordance ». La MRC signale aussi dans cette lettre qu'elle n'a trouvé aucune trace dans ses dossiers « des nombreuses demandes » qu'elle aurait faites à Carignan pour qu'elle se conforme au schéma d'aménagement, comme le soutient la municipalité.

Avec la collaboration de William Leclerc