Chaque année des dizaines de Canadiens et de Québécois âgés de 18 à 23 ans se joignent volontairement à l'armée israélienne. L'épisode sanglant des dernières semaines est loin d'avoir refroidi leurs ardeurs. Ils ont fait le choix de quitter leur pays et leur famille pour devenir soldats. Quelles sont leurs motivations? La Presse a posé la question à certains d'entre eux, ainsi qu'à leurs proches.

Lorsque Gabriel a quitté Montréal pour un voyage en Israël il y a plus d'un an, rien ne laissait présager la suite des choses. Un soir, il téléphone à sa mère comme il le fait tous les jours depuis son départ. Cette fois, sa voix est différente. «Il m'a dit: "Maman, je sais ce que je veux faire. Je veux rester ici, je veux faire l'armée." Je lui ai dit de revenir à la maison, qu'on allait en discuter», raconte sa mère, Mikaela, convaincue qu'il ne s'agissait que d'une envie passagère. Le temps lui prouva qu'elle avait tort.

Quelques semaines après son retour au Québec, le jeune homme de 20 ans, qui a fait son secondaire dans une école juive de Montréal, entame des démarches afin de s'engager dans les rangs de l'armée israélienne, Tsahal. Voilà maintenant deux mois qu'il a quitté le Canada et il espère désormais être admis dans l'unité Golani de combat terrestre. «C'est terrible d'entendre ça, je tente de le convaincre de ne pas le faire», raconte sa mère. Elle a préféré taire son nom et celui de son fils pour des raisons de sécurité.

En novembre prochain, après un entraînement militaire intensif et des cours d'hébreu obligatoires, il deviendra officiellement l'un des milliers de soldats volontaires venus de l'extérieur pour prendre les armes en Israël. Ces jeunes d'origine juive sont surnommés les «lone soldiers» ou «soldats seuls», car la plupart n'ont pas de famille proche dans la région.

Joint au téléphone hier alors qu'il était en congé à Tel-Aviv, Gabriel a raconté que son arrivée en Israël avait coïncidé avec le début de la guerre. «Il y avait moins de monde dans les rues. C'était froid et même un peu épeurant, mais lentement les gens recommencent à vivre», affirme-t-il. Son entraînement militaire commence dans deux semaines. Il quittera donc Tel-Aviv dans les prochains jours pour un village plus au nord.

Ses voyages précédents en Israël ont suscité chez lui un «sentiment d'appartenance» envers le pays et lui ont donné le goût de joindre l'armée. «Je suis prêt à relever le défi, je m'y prépare mentalement au fur et à mesure, même si c'est dur. Tous les jours, je souffre un petit peu, mais je sais que je vais m'habituer», a-t-il expliqué.

«Je me sens un peu plus comme un homme maintenant, continue-t-il. Ça va me permettre d'être plus courageux, d'être plus autonome, de me débrouiller par moi-même sans mes parents.»

En 2013, parmi les quelque 4000 «lone soldiers» de Tsahal, 139 étaient canadiens, a affirmé à La Presse une porte-parole de l'Armée de défense d'Israël. Leur nombre serait sensiblement le même cette année. Dans le lot, il y a Rebecca Garner, une Québécoise originaire de Dollard-Des-Ormeaux qui s'est enrôlée dans l'armée israélienne en 2010. Peu de temps après le début de sa formation, elle est devenue l'une des tireuses d'élite de son unité de combat. En mai 2013, alors âgée de 22 ans, elle a reçu un prix d'excellence des mains de l'ancien président israélien Shimon Peres pour souligner son engagement comme soldate volontaire.

«Tout ça n'est pas un jeu»

Le programme Garin Tzabar, basé à New York, a été instauré par l'association Friends of Israel Scouts, afin de faciliter la tâche à des jeunes comme Gabriel. En échange de quelques centaines de dollars, l'organisme s'occupe de tout: préparation à la vie militaire, transports, groupe de soutien pour les parents, apprentissage de l'hébreu et hébergement dans un kibboutz, un village collectif israélien.

Chaque année, 350 jeunes de 18 à 23 ans s'inscrivent au Garin Tzabar, dont 25 à 30 Canadiens. Joint par La Presse, son directeur, Yair Ran, assure que les candidats sont mis au courant des dangers de l'armée. «Nous travaillons pour leur faire comprendre que tout ça n'est pas un jeu. Ce n'est pas un voyage en Israël. C'est l'armée. C'est vrai. [...] Les jeunes sélectionnés sont ceux qui veulent vraiment défendre le pays d'Israël. Pas ceux qui veulent se prendre pour Rambo», explique-t-il. Selon lui, 95% des hommes du programme seront sélectionnés dans les unités de combat de l'Armée de défense d'Israël.

Un danger bien réel

Dans les bureaux de Garin Tzabar, le téléphone a sonné plus souvent qu'à son habitude au cours du dernier mois. «En période de guerre, les gens nous appellent davantage, mais il ne faut pas les prendre tous au sérieux. Ils sentent le besoin de contribuer maintenant, mais dans quelques mois, plusieurs constateront que l'armée n'est pas faite pour eux», explique Yair Ran.

C'est que le danger est bien réel pour les «lone soldiers». Dans les dernières semaines, trois d'entre eux, deux Américains et un Français, ont été tués à Gaza lors de l'opération «Bordure protectrice». Les funérailles du plus vieux, Max Steinberg, 24 ans, ont attiré près de 30 000 personnes à Jérusalem.

En Israël, les soldats volontaires sont perçus comme de véritables héros. «Les gens vont t'arrêter dans la rue quand ils réalisent qui tu es, que tu viens d'un autre pays, et ils vont te remercier», indique Menachem Freedman, un Québécois ayant servi dans une unité d'infanterie israélienne alors qu'il avait 19 ans.

En 2006, il a passé 10 mois à patrouiller à la frontière de l'Égypte et de Gaza. À cet endroit, quelques semaines avant son enrôlement, le soldat Gilad Shalit avait été kidnappé par le Hamas (il n'a été libéré que cinq ans plus tard). «J'étais surtout effrayé, car à 19 ans, tu ne sais pas comment tu vas réagir lorsque tu seras confronté à une situation de stress intense et que tu devras prendre une décision qui pourrait décider du sort des autres», raconte Menachem Freedman.

Des regrets? Il n'en a aucun. Son expérience à la frontière, où il a géré l'afflux de demandeurs d'asile fuyant la guerre, lui a donné le goût du droit humanitaire. Aujourd'hui, il est étudiant en droit à McGill, mais pour le moment, il travaille pour l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique.

De nouvelles recrues

Lundi prochain, en fin d'après-midi, Eliana Small, une Torontoise de 17 ans, sera dans un avion en direction d'Israël avec des dizaines d'autres participants du Garin Tzabar prêts à commencer leur nouvelle vie. «Mes pensées revenaient toujours à l'idée de l'armée. Si je veux un jour vivre là-bas, je me sentirais mal de n'avoir jamais servi, alors que tout le monde en Israël doit le faire», explique l'adolescente.

L'opération militaire à Gaza et la mort récente d'une soixantaine de soldats israéliens ne suffisent pas à la faire changer d'idée. «J'y vais pour protéger Israël. J'aime Israël et s'il y une guerre en ce moment, ça signifie simplement qu'ils ont besoin d'être protégés encore plus», croit-elle.

Son père, Mitchell Small, accepte difficilement la décision de sa fille. «Ce n'est jamais sûr [en Israël], dit-il. Je m'inquiète pour sa sécurité et celle de ses amis, pour son état de santé physique et mental. Je m'inquiète pour toutes les choses dont un père doit s'inquiéter.»